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LXVe NOUVELLE

— Est-ce mal faict, » dist Nomerfide, « de porter des chandelles au Sépulcre ?

— Ouy, » dist Hircan, « quant on mect le feu contre le front aux hommes, car nul bien ne se doibt dire bien s’il est faict avecq mal. Pensez que la pauvre femme cuydoit avoir faict ung beau présent à Dieu d’une petite chandelle. »

Ce dist Madame Oisille : « Je ne regarde poinct la valleur du présent, mais le cueur qui le présente. Peut estre que ceste bonne femme avoyt plus d’amour à Dieu que ceulx qui donnent les grandz torches, car, comme dist l’Evangile, elle donnoyt de sa necessité.

— Si ne croy je pas, » dist Saffredent, « que Dieu, qui est souveraine sapience, peut avoir agréable la sottise des femmes, car, nonobstant que la simplicité luy plaise, je voy par Escripture qu’il desprise l’ignorant, &, s’il commande d’estre simple comme la coulombe, il ne commande moins d’estre prudent comme le serpent.

— Quant est de moy » dist Oisille, « je n’estime poinct ignorance celle qui porte devant Dieu sa chandelle, ou cierge ardant, comme faisant amende honnorable, les genoulx en terre & la torche au poing devant son souverain Seigneur, auquel confesse sa damnacion, demandant en ferme espérance la miséricorde & salut.

— Pleut à Dieu, » dist Dagoucin, « que chascun l’entendist aussy bien que vous, mais je croy que ces pauvres sottes ne le font pas à ceste intention. »

Oisille leur respondit : « Celles qui moins en sçavent parler sont celles qui ont plus de sentement de l’amour & volunté de Dieu ; par quoy ne fault juger que soy mesmes. »