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LXIIIJe NOUVELLE

noyer & brusler ceste pauvre Epistre, à laquelle ne feyt nulle responce, sinon dire au messagier que la mortiffication de sa passion extrême luy avoyt cousté si cher qu’elle luy avoyt osté la volunté de vivre & la craincte de morir ; par quoy requéroyt celle qui en estoyt l’occasion, puisqu’elle ne l’avoyt pas voulu contanter en la passion de ses grands desirs, qu’elle ne le voulût tormenter à l’heure qu’il en estoyt dehors, mais se contanter du mal passé, auquel il ne peut trouver remède que de choisir une vie si aspre que la continuelle pénitence luy faict oblier sa douleur &, à force de jeusnes & disciplines, affoiblir tant son corps que la mémoire de la mort luy soyt pour souveraine consolation, & que surtout il la pryoit qu’il n’eût jamais nouvelle d’elle, car la mémoire de son nom seullement luy estoyt ung importable purgatoire.

Le Gentil homme retourna avecq ceste triste responce & en feyt le rapport à celle qui ne le peut entendre sans l’importable regret, mais Amour, qui ne veult permectre l’esperit faillir jusques à l’extrémité, luy meist en fantaisie, que si elle le povoit veoir, que la veue & la parolle auroient plus de force que n’avoyt eu l’escripture ; par quoy avecq son père & ses plus proches parens s’en allèrent au monastère où il demeuroyt, n’aiant rien laissé en sa boueste