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VJe JOURNÉE

qui estoit en grande contemplation, en lui disant : « Hélas, ma dame, qui est ce que je voy ? » La mère luy demanda : « Quoy ? — C’est celluy mon mary qui dict la messe, ou la personne du monde qui mieulx luy ressemble. » La mère, qui ne l’avoyt poinct bien regardé, luy dist : « Je vous prie, ma fille, ne mectez poinct ceste opinion dedans vostre teste, car c’est une chose totallement impossible que ceulx qui sont si sainctes gens eussent faict une telle tromperie ; vous pescheriez grandement contre Dieu d’ajouster foy à une telle opinion. » Toutesfoys ne laissa pas la mère d’y regarder &, quant se vint à dire Ite, missa est, congneut véritablement que jamais deux frères d’une ventrée ne fussent si semblables. Toutesfoys elle estoit si simple qu’elle eût volontiers dict : « Mon Dieu, gardez moy de croyre ce que je voy, » mais, pource qu’il touchoit à sa fille, ne voulut laisser la chose ainsy incongneue & se délibéra d’en savoir la vérité.

Et, quant ce vint le soir que le mary debyoit retourner, lequel ne les avoit aucunement aperçeues, la mère vint dire à sa fille : « Nous sçaurons, si vous voulez, maintenant la vérité de vostre mary, car, ainsy qu’il sera dedans le lict, je l’iray trouver &, sans qu’il y pense, par derrière vous luy arracherez sa coiffe, & nous verrons s’il a telle couronne que celluy qui a dict la messe. » Ainsy