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IJe JOURNÉE

fut en la chambre de la Dame, la referma au coureil, & veid toute ceste chambre tendue de linge blanc, le pavement & le dessus de mesmes, & un lict de toille fort deliée tant bien ouvré de blanc qu’il n’estoit possible de plus ; & la dame seule dedans avecq son scofion & sa chemise, toute couverte de perles & de pierreries, ce qu’il veid par ung coing du rideau avant que d’estre apperçeu d’elle, car il y avoit un grand flambeau de cire blanche, qui rendoit la chambre claire comme le jour, & de paour d’estre congneu d’elle, alla premièrement tuer le flambeau, puis se despouilla & s’alla coucher auprès d’elle.

Elle, qui cuydoit que ce fust celuy qui si longuement l’avoit aymée, lui feit la meilleure chère qui luy fut possible ; mais luy, qui sçavoit bien que c’estoit au nom d’un aultre, se garda de luy dire un seul mot & ne pensa qu’à mettre sa vengeance à exécution, c’est de luy oster son honneur & sa chasteté sans luy en sçavoir gré ni grace. Mais, contre sa volunté & délibération, la Dame se tenoit si contente de cette vengeance qu’elle l’estimoit recompensé de tous ses labeurs, jusques à ce que une heure après minuict sonna qu’il estoit temps de dire adieu. Et à l’heure, le plus bas qu’il luy fut possible, luy demanda si elle estoit aussi contente de luy que luy d’elle. Elle, qui cuidoit que ce fust son amy, luy dist que non