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XXJe NOUVELLE

plus de ce que les gens estimez bien sages & aagez y estoient plus affectionnez que les jeunes, & pour une merveille luy compta comme le bastard, son cousin, y demeuroit quatre ou cinq heures tous les jours à lire ce beau livre. Incontinent frappa au cueur de ceste Dame l’occasion pour quoy c’estoit, & donna charge au Varlet de chambre de se cacher en quelque lieu & de regarder ce qu’il feroit, ce qu’il feit, & trouva que le livre où il lisoit estoit la fenestre où Rolandine venoit parler à luy, & entendit plusieurs propos de l’amitié qu’ils cuidoient tenir bien secrette.

Le lendemain le racompta à sa Maistresse, qui envoya quérir le bastard &, après plusieurs remonstrances, luy défendit de ne se y trouver plus &, le soir, elle parla à Rolandine, la menassant, si elle continuoit ceste folle amityé, de dire à la Royne toutes ces menées.

Rolandine, qui de rien ne s’étonnoit, jura que, depuis la défense de sa Maistresse, elle n’y avoit point parlé, quelque chose que l’on dist, & qu’elle en sçeut la verité tant de ses compaignes que des Varletz & serviteurs. Et, quant à la fenestre dont elle parloit, elle nia d’y avoir parlé au bastard, lequel, craingnant que son affaire fust revelé, s’eslongna du danger & fut long temps sans revenir à la Court, mais non sans escripre à Rolandine par si subtils moyens que, quelque guet que la