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ORAISON FUNÈBRE

fault enquérir qui leur semble des songes, car, ainsi que dit Cicéron, ils ne sentent rien de ce qui est bon & honneste. Car, puisqu’ils ostent du tout la divinité à nos Esprits, ils nieront aussi la divination leur estre au dehors manifestée & au dedans divinement enclose, mais les Philosophes ne les préféreront à Platon & Socrate ; les Chrestiens ne les préposeront à l’Escripture Saincte, & tous ceuls qui hauront quelque jugement les laisront là comme enragés & furieus.

Or n’est il donc absurde que nous avons dit Marguerite avoir diviné par son songe la mort luy estre prochaine, attendu que ce qui s’en est ensuivy assés l’a confirmé. Car, depuis son songe, elle abandonna tous ses biens & en laissa l’administration au bon plaisir du Roy de Navarre, son mari, contre sa coustume ne tint plus aucun compte de ses domestiques occupations, ne voulut plus entendre des affaires de personne, désista de passer le temps à ses acoustumées compositions, commença s’ennuier de toutes choses, & de ce qu’elle préveoioit devoir arriver après sa mort elle en escrivit au long à ceuls ausquels les affaires pourroient un jour toucher, &, aiant ainsi donné ordre à toutes choses, tumba en sa dernière maladie, où, avoir esté vingt jours fort tourmentée, au chasteau d’Odos au pais de Tarbes, sur le 59 an de son aige, est allée de vie à trespas.

Tout ce que jusques icy je vous ay dit des vertus de Marguerite selon la capacité de mon petit esprit, ô Alençonnois, vous l’avés veu & congnu en vostre Princesse, & à vostre trèsgrand proffit avés expérimenté que je n’ay rien dit que vérité. Aujourdhuy vous estes tous dolents que la mort vous a osté cet incomparable thrèsor. Aussi l’est toute la France, & certes non sans cause, car,