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SUR L’ÉCONOMIE POLITIQUE

tures que le nôtre ? Il faut du pain pour tous les hommes occupés dans ces manufactures, aussi bien que pour ceux qui travaillent aux champs. L’Angleterre est peut-être trois fois plus peuplée que la plupart des autres pays du monde, et vous voulez, maître Stubbs, qu’elle se contente du blé qu’elle peut produire ? Moi, je vous dis que c’est vouloir nous affamer, soit parce qu’elle n’en produit pas assez, soit parce que le blé que vous cultivez sur de mauvais terrains se vend beaucoup trop cher.

— Vous voilà maintenant, Hopkins, vous louant de la nombreuse population de notre petite île ; vous avez donc oublié ce que vous disiez l’autre jour, que la misère qui règne en Angleterre est la suite d’une population trop nombreuse ?

— Je le soutiens encore, et je le dirai : tant que nous n’aurons pas du pain à bon marché, ce qui ne peut arriver qu’au moyen de la liberté du commerce du blé. Si nous sommes trop nombreux, ce n’est pas qu’il manque de place pour nous loger tous, mais c’est qu’il n’y a pas de nourriture pour tous. Faisons venir du blé de tous les pays qui voudront nous en fournir à un prix raisonnable ; peut-être qu’alors nous en aurons assez. On n’est jamais trop nombreux quand il y a place à table pour tous, et on ne saurait être trop de gens heureux ; mais lorsqu’on est dans la détresse et qu’on souffre de corps et d’esprit, on ne peut être utile ni à soi ni aux autres, et il vaudrait mieux ne pas exister.

— Tandis que vous êtes si ardent à me convaincre, John, vous ne songez pas à vos propres affaires ; il me semble qu’elles seront plus difficiles à arranger que les miennes ; si je mets en herbe vingt ares de terre qui étaient en blé, je n’aurai plus besoin de laboureur pour les labourer, et vous avez gagné plus d’une journée autour de ce mauvais terrain. Si quelques mille ares de terre subissent le même sort, c’est quelques mille laboureurs qui n’auront plus d’ouvrage. »

Hopkins n’eut rien à répliquer, car ce que disait Stubbs était parfaitement vrai ; mais en cherchant à se rappeler ce qu’il savait à ce sujet, un argument vint à son aide, et il demanda à Stubbs comment l’Angleterre paierait le blé qu’elle ferait venir de l’étranger, si le commerce devenait libre ?

« Du produit de nos manufactures, je suppose, dit Stubbs ; ces peuples, adonnés à l’agriculture, ont, dit-on, un aussi grand besoin