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jet perfectionnées par les Samnites, écraser tout ce qui se présentait. L’on fut donc obligé de contenir ces terres par des murailles contre les batteries de plein fouet, comme les béliers, et de se garantir contre les batteries de jet, comme les onagres (les onagres de cent pesant, que les anciens appelaient centenaires, portent au delà de quatre cents toises ; les autres, un peu au delà de quatre-vingts toises : voyez l’Attaque des places des anciens, p. 280) par le moyen de blindes. C’est pour cela que Végèce dit : « Pour donner la plus grande force à un rempart, voici comme on le construit : On élève deux murs parallèles à vingt pieds l’un de l’autre. Dans cet intervalle, qui fera l’épaisseur du rempart, on jette les terres qu’on tire du fossé, et on les foule à coups de batte (voyez la continuation dans le livre). Il est difficile à un bélier de ruiner un mur qui est soutenu par des terres ; et quand par hasard il emporterait les pierres, cette masse de terre foulée résisterait à ses coups comme une véritable muraille. » Telle est la construction des murailles des anciens : qu’aurait fait le canon même, et quelle force ne lui opposerait-elle pas ?

Son fossé, déblais et remblais.

« Pour remplir de terre la largeur de vingt pieds, l’on fût obligé de creuser un fossé devant, et de lui donner une largeur et une profondeur très-grandes ; car de tout temps il faut que l’on ait calculé que le déblai fût égal au remblai, à peu de chose près. Végèce nous l’apprend aussi : « Il faut faire, dit-il, devant les places, les fossés très-larges et très-profonds, afin que les assiégeants ne puissent pas facilement les combler. » Il ne nous donne pas la raison que j’ai énoncée ; mais le bon sens nous le dit, et Végèce a sûrement cru pouvoir s’en dispenser.

« Nous ne considérons pas actuellement la fortification comme étant complète, lorsqu’il n’y a pas un corps de la place, un fossé, une demi-lune et un chemin couvert : pour montrer donc qu’il existe une entière analogie entre la fortification des anciens et la moderne, il faudrait prouver que leurs fortifications étaient composées d’autant d’ouvrages que les nôtres ; cet objet sera donc le sujet de nos recherches.

Invention de la demi-lune.

« De tout temps l’attaque des places a précédé et presque forcé la marche lente des progrès de la fortification : c’est à cette marche que nous devons l’invention des ouvrages extérieurs ; nous voyons que du temps des anciens, pour garantir leurs portes des feux ou des phalariques, ils furent obligés de construire devant une pièce de fortification qu’ils appelaient un réduit. Végèce même en parle comme d’une invention bien antérieure à lui : « Il s’agit de garantir les portes, dit-il, des feux qu’on peut y jeter ; pour cet effet, on les couvre de peaux fraîches ou de lames de fer ; mais cela ne vaut pas l’invention des anciens, qui est d’ajouter devant les portes un réduit, à l’entrée duquel on met une herse suspendue avec des cordes et des chaînes de fer. » Il s’élève cinq difficultés sur cet ouvrage. Il faut savoir :

« 1o La manière de le construire ;

« 2o La hauteur de l’ouvrage ;

« 3o S’il servait à éloigner les assiégeants, par conséquent s’il était défendu par des machines, ou non ;

« 4o S’il était attenant au corps de la place, ou séparé ;

« Et 5o la figure de l’ouvrage.

Il avait un rempart.

« Il paraît clair d’abord que l’on construisait, devant, un fossé ; que les terres de ce fossé, qui devait être aussi profond et presque aussi large que celui de l’enceinte de la ville, devaient servir à construire, comme pour le corps de la place, un rempart à ce réduit ; et ne devant pas être un ouvrage passager, mais permanent, on l’aura sûrement appuyé d’un mur.

Sa hauteur.

« Son objet étant de garantir les portes, il devait donc être plus haut qu’elles ; or il est à présumer que les portes des villes étaient alors, comme maintenant, d’une très-grande hauteur : par conséquent on peut croire, sans risque d’erreur, que ce réduit ne devait être qu’un peu moins haut que le corps de la place, de manière à lui conserver toujours le commandement sur cet ouvrage et sur la campagne.

Il servait à éloigner les approches.

« Les anciens ayant ainsi construit leur ouvrage, ils se seront bientôt doutés que plus on peut éloigner les approches des ennemis, plus on retarde la prise de la ville. Ce réduit, qui devait occuper un certain espace, et qui avait un bon rempart, pouvait donc servir aux batteries d’onagres, balistes, et autres : il est donc clair que son objet n’était pas différent de ceux des demi-lunes de nos jours, et il pouvait donc répondre à celles que construisaient Malthus et d’autres anciens ingénieurs.

Il est séparé du corps de la place.

« D’après les seules données que l’on peut avoir de Végèce, on ne pourrait pas bien déterminer si l’ouvrage était attenant au corps de la place, ou séparé ; mais nous allons faire venir à notre secours le calcul des probabilités, fondé sur le bon sens et la saine raison. Végèce dit, en parlant de cet ouvrage, « que si les ennemis s’avisent d’entrer, la herse tombe sur eux, les enferme, et les livre aux assiégés. Cependant il faut encore que la muraille au-dessus de la porte soit construite en mâchecoulis, afin de verser de l’eau et d’éteindre le feu s’il était à la porte. » Il faut que Végèce suppose que le comblement des fossés soit déjà fait pour entrer dans cet ouvrage ; car il n’est pas de plain-pied avec la campagne, et il y a de plus un fossé devant : s’il était attenant au corps de la place, il serait impossible de mettre le feu à la porte si le réduit n’était pas pris ; et une fois pris il n’y aurait plus moyen que la place se défendit, puisqu’il ne resterait plus qu’à enfoncer la porte : mais si nous supposons l’ouvrage séparé, cela se rapporterait à ce que dit Végèce ; car on ne pourrait pas voir la porte de front : cet ouvrage étant placé devant, on aurait donc plus de peine à y mettre le feu par le moyen de phalariques ou autres machines ; mais comme pourtant un ennemi rusé pourrait en levant les difficultés arriver à ses fins, on prend la précaution de pouvoir l’éteindre par le moyen de ces mâchecoulis. Il est donc probable que l’on peut considérer cet ouvrage comme étant séparé du corps de la place.

Figure de l’ouvrage.

« Il ne nous reste plus qu’à considérer la figure de cet ouvrage. Végèce n’en parle pas assez pour pouvoir en tirer quelque éclaircissement ; mais nous allons tâcher d’en trouver par le moyen d’autorités indirectes. Il ne pouvait avoir que la forme ronde, carrée, ou celle de redan ; il n’y a donc plus qu’à déterminer laquelle de ces trois figures avait l’ouvrage. Selon M. le Blond, les redoutes étaient antérieures à l’invention des tours ; « car les anciens, dit-il, ayant observé le défaut des places fortifiées par de simples enceintes composées d’angles saillants et rentrants, inventèrent les tours rondes et carrées pour en augmenter la défense. « Ou ce réduit était un ouvrage inventé par ceux mêmes que l’on appelait anciens, du temps de Végèce. Par conséquent la première idée qu’ils pouvaient avoir eue était de lui donner la forme de redoute ; il est probable qu’il n’était pas carré, car pour quelle raison l’aurait-on fermé du côté de la place ? Cela n’aurait servi qu’à protéger les assiégeants contre les assiégés, une fois qu’ils seraient