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s’autorisaient-ils secrètement des ordres du prince ? Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que, suivant une opinion très accréditée, le choix de Julien pour César avait été fait, non dans l’intérêt de la délivrance des Gaules, mais dans la vue de le perdre lui-même. C’était dans cette pensée qu’on avait mis aux prises avec les dangers de cette guerre cruelle l’inexpérience présumée d’un jeune homme que l’on jugeait incapable d’en supporter même le bruit.

Tandis que Julien se fortifie avec activité dans cette position, qu’une partie de l’armée pousse en avant des postes retranchés, et que l’autre s’occupe à ramasser du grain, tout en se tenant en garde contre les surprises, une nuée de barbares, prévenant à force de célérité le bruit de sa marche, vint fondre sur le corps de Barbation, qui continuait, ainsi qu’on l’a vu, d’opérer séparément de l’armée des Gaules, le mène battant jusqu’à Rauraque, et le refoule même aussi loin qu’elle put par delà, lui enlevant en grande partie bagages, bâtes de somme et gens de service. Après quoi la bande rejoignit le gros des siens ; et Barbation, comme s’il eût fait la campagne la plus heureuse, distribua tranquillement ses ; troupes dans les cantonnements, et revint à la cour préparer comme à l’ordinaire quelque accusation contre Julien.

XII. On sut bientôt l’affront que venaient d’essuyer, nos armes. Les rois allemands Chnodomaire et Vestralpe opérèrent une jonction de leurs forces, auxquelles se réunirent successivement Urius, Ursicin, Sérapion, Suomaire et Hortaire ; et les confédérés allèrent camper près d’Argentoratum[1], se flattant de l’idée que Julien s’était replié dans la crainte d’un désastre complet, tandis qu’en réalité il continuait à s’occuper des fortifications des Trois Tavernes[2]. Ils devaient surtout cette confiance au rapport d’un scutaire que la crainte de quelque châtiment avait fait déserter peu après l’échec essuyé par Barbation, et qui leur dit que Julien n’avait pas avec lui plus de treize mille hommes. C’était avec ce nombre en effet que César avait d’abord fait tête au déchaînement universel de la rage des barbares. Le transfuge répéta son assertion avec une assurance qui mit le comble à leur audace. Ils dépêchèrent vers Julien une députation pour lui intimer, du ton le plus impérieux, l’injonction de quitter un pays qui leur appartenait, disaient-ils, par le droit de la valeur et la fortune de leurs armes. Celui-ci, qu’on n’effrayait pas aisément, reçut sans émotion un tel message ; mais, tout en se moquant de la jactance des barbares, il signifia aux envoyés qu’il les retenait près de lui jusqu’à l’achèvement des travaux, et garda tranquillement sa position.

Parmi les confédérés le roi Chnodomaire se donnait un mouvement incroyable, allant, venant, se multipliant, toujours le premier quand il s’agissait d’un coup de main, et plein de cette confiance que donne l’habitude du succès. Il avait effectivement battu le César Décence à forces égales, détruit ou dévasté nombre de villes opulentes, et promené à son gré le ravage dans la Gaule sans défense. Il venait encore (ce qui n’accrut pas peu sa présomption) de chasser devant lui un général romain avec un corps nombreux de troupes d’élite ; car les Allemands avaient reconnu aux insignes des boucliers que ceux qui venaient de lâcher pied devant quelques-uns de leurs coureurs étaient les mêmes soldats qui avaient battu et dispersé leurs forces en tant de rencontres. Tout

  1. Strasbourg.
  2. Saverne.