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« Valens au bûcher ! ». À tous moments des voix, imitant les proclamations des crieurs publics, invitaient la populace à apporter du bois pour mettre le feu aux thermes de Valens, édifice dont le prince avait lui-même surveillé la construction ; toutes manifestations non équivoques de sa fin prochaine. De funèbres terreurs troublaient encore le repos de ses nuits ; le spectre sanglant du roi d’Arménie, les ombres des victimes sacrifiées avec Théodore, se dressaient devant son lit, répétant, d’une voix sépulcrale, des vers dont le sens fait frémir. Un aigle, avec la gorge coupée, fut trouvé mort dans les rues, signe précurseur de funérailles et de calamités publiques. Enfin, lorsqu’on abattit les vieux murs du faubourg de Chalcédoine, pour doter d’un bain nouveau la ville de Constantinople, on découvrit, au centre même des démolitions, une pierre carrée, où se lisait, en vers grecs, cette inscription fatalement significative :

« Lorsqu’on verra les naïades, amenant ici leurs liquides trésors, faire circuler par la ville une salutaire fraîcheur ; lorsqu’un mur, construit sous de funestes auspices, s’élèvera autour du palais des thermes, alors des hordes belliqueuses, venues du fond de climats lointains, franchiront en armes l’Hister aux ondes majestueuses, et porteront le ravage dans les plaines de la Mésie et de la Scythie. Arrivées aux champs pannoniens, leur rage se tournera vers une plus noble proie ; mais Mars et le Destin ont marqué là le terme de leurs efforts, et leur tombeau. »

II. Remontons au principe du mal, et disons de quelles causes diverses est née cette terrible guerre, grosse de tant de désolation et de larmes. Les Huns sont à peine mentionnés dans les annales, et seulement comme une race sauvage répandue au-delà des Palus— Méotides, sur les bords de la mer Glaciale, et d’une férocité qui passe l’imagination. Dès la naissance des enfants mâles, les Huns leur sillonnent les joues de profondes cicatrices, afin d’y détruire tout germe de duvet. Ces rejetons croissent et vieillissent imberbes, sous l’aspect hideux et dégradé des eunuques. Mais ils ont tous le corps trapu, les membres robustes, la tête volumineuse ; et un excessif développement de carrure donne à leur conformation quelque chose de surnaturel. On dirait des animaux bipèdes plutôt que des êtres humains, ou de ces bizarres figures que le caprice de l’art place en saillie sur les corniches d’un pont. Des habitudes voisines de la brute répondent à cet extérieur repoussant. Les Huns ne cuisent ni n’assaisonnent ce qu’ils mangent, et se contentent pour aliments de racines sauvages, ou de la chair du premier animal venu, qu’ils font mortifier quelque temps, sur le cheval, entre leurs cuisses. Aucun toit ne les abrite. Les maisons chez eux ne sont d’usage journalier non plus que les tombeaux ; on n’y trouverait pas même une chaumière. Ils vivent au milieu des bois et des montagnes, endurcis contre la faim, la soif et la froidure. En voyage même, ils ne traversent pas le seuil d’une habitation sans nécessité absolue, et ne s’y croient jamais en sûreté. Ils se font de toile, ou de peaux de rats des bois cousues ensemble, une espèce de tunique, qui leur sert pour toute occasion, et ne quittent ce vêtement, une