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extrémité, réussit à se jeter dans un petit fort voisin, et put rejoindre l’armée trois jours plus tard.

(15) Pendant ces alternatives du combat, Julien, couché dans sa tente, parlait en ces termes aux assistants désolés : "Le moment est venu, mes amis ; la nature exige le tribut, un peu tôt peut-être : mais en loyal débiteur je m’empresse de m’acquitter, et sans éprouver, comme on pourrait le croire, abattement ni regret. La philosophie m’a appris à reconnaître la supériorité de l’âme sur le corps ; et, changeant ma condition pour une meilleure, j’ ai lieu de me réjouir plutôt que de m’affliger. Mourir jeune est une faveur accordée quelquefois par les dieux comme la récompense des plus hautes vertus.

(16) Je n’oublie pas non plus le rôle qui me fut assigné, rôle de lutte et de persévérance énergique, où mon courage ne faillira pas ; car je sais par expérience que le mal ne terrasse que le faible. Le fort en sait triompher.

(17) Ma conscience se reporte avec une égale sérénité aux souvenirs d’humiliation et d’exil, et à ceux de grandeur et de pouvoir. J’ai reçu le sceptre comme un héritage où m’appelait le ciel, et dont je crois n’avoir point abusé. Modéré à l’intérieur, mon gouvernement, n’a jamais sans de mûres réflexions accepté ou déclaré la guerre. Mais l’événement ne répond pas toujours aux plans les mieux conçus et il n’appartient qu’aux puissances du ciel de disposer du succès.

(18) Persuadé que le bien-être de ceux qui obéissent est la seule fin légitime du pouvoir, j’ai tâché, vous ne l’ignorez pas, d’en adoucir l’exercice, et j’ai rejeté loin de moi ses licences corruptrices des mœurs du prince et attentatoires à la fortune publique. Chaque fois que le salut de l’État a réclamé mon concours, son impérieux appel m’a trouvé prêt. J’ai bravé les dangers les plus manifestes et foulé aux pieds la crainte, en homme pour qui le péril est une habitude.

(19) Dès longtemps (je ne rougis pas de l’avouer) une prédiction m’avait averti que le fer terminerait ma vie ; et je rends grâce à la divinité suprême de ce que la mort m’arrive, non par la trahison, ou par les longues souffrances d’une maladie, ou par la main du bourreau, mais sous la forme d’un glorieux congé après une carrière noblement remplie. On dit avec raison qu’il y a faiblesse d’âme égale à provoquer la mort avant le temps, ou à la décliner quand le moment est venu.

(20) La force me manque pour en dire davantage. Je me tais à dessein sur le choix de mon successeur : je craindrais que mon discernement ne faillît à désigner le plus digne ; ou que ma préférence, n’étant pas ratifiée, ne devînt fatale à qui en aurait été l’objet. Mais, en véritable enfant de la patrie, je souhaite ardemment que l’armée rencontre un bon chef après moi."

(21) Il dit, et, avec la même sérénité, fit par testament le partage de sa fortune privée entre ses amis les plus intimes. Il s’enquit ensuite d’Anatole, maître des offices. Le préfet Salutius lui ayant répondu qu’il était heureux, il comprit qu’il n’était plus, et gémit amèrement sur cette mort, lui