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friperie."

(12) Voilà ce que ne sauraient trop imiter ceux qui gouvernent. Mais on ne peut taire qu’en d’autres occasions il montra une partialité révoltante. Difficilement, sous ce règne, quiconque était réclamé par les magistrats municipaux pour faire partie du corps pouvait-il échapper à leurs prétentions sur sa personne, eût-il par quelque privilège, par ses services militaires, par la qualité même d’étranger, tous les droits d’exemption possibles. C’était au point qu’on se résignait d’ordinaire à acheter son repos par une transaction clandestine, et à prix d’argent.

(13) En arrivant à la station de Pyles, qui marque la limite entre la Cappadoce et la Cilicie, Julien y trouva le correcteur de la province, qui se nommait Celse, et qu’il avait connu dans le temps où il étudiait à Athènes. Il l’embrassa, le fit monter dans sa voiture, et le ramena avec lui à Tarse.

(14) De là, sans s’arrêter, il gagna Antioche, cette merveille de l’Asie, qu’il lui tardait de visiter. L’accueil qu’il reçut des habitants aux approches de la ville fut une espèce de culte. Lui-même s’étonna de cet immense concert de voix, saluant en sa personne un astre nouveau qui se levait sur l’Orient.

(15) C’était précisément l’époque de célébration de l’antique fête d’Adonis, ce jeune amant de Vénus, mort sous la défense d’un sanglier ; image mystique de la moisson coupée dans sa maturité. On regarda comme mauvais présage que des lamentations de deuil se fissent entendre à la première entrée du chef de l’État dans une résidence impériale.

(16) Julien donna dans cette occasion une preuve de mansuétude qui lui fit le plus grand honneur, bien que l’occasion en fût assez triviale. Un nommé Thalasse, ex-commis aux requêtes, lui était odieux comme complice des pièges tendus pour faire périr son frère Gallus ; et il lui avait fait signifier la défense de se montrer parmi les honorables qui vinrent lui faire leur cour. Thalasse avait un procès. Ceux qui plaidaient contre lui, profitant de cette défaveur, s’avisèrent, le lendemain de l’entrée, d’attrouper la populace, et de venir crier aux oreilles de l’empereur : "Thalasse, cet ennemi de votre majesté, veut s’emparer de notre dépouille."

(17) Ils croyaient bien avoir trouvé l’occasion de le perdre. Julien comprit leur intention : "En effet, dit-il, l’homme dont vous parlez n’a que trop mérité ma colère. Suspendez donc votre plainte, car il convient que j’aie raison de lui avant vous." Là-dessus il fit passer au préfet qui siégeait au tribunal l’ordre d’ajourner l’affaire jusqu’à ce que Thalasse eût été reçu en grâce ; ce qui ne tarda pas à arriver.

Chapitre X

(1) Julien, comme il l’avait projeté, passa l’hiver à Antioche. Mais, au lieu de se laisser aller aux séductions de tout genre qui abondent en Syrie, il s’occupait, comme par délassement, à juger les procès ; ce qui toutefois n’exige pas moins de contention d’esprit que la conduite d’une guerre. Il s’y livrait avec ardeur, appliquant sa merveilleuse intelligence à rendre à chacun bonne justice, à réprimer la fraude avec toute la sévérité compatible avec la sagesse, à protéger le bon droit contre toute usurpation.

(2) Il est vrai qu’on le vit montrer quelquefois une indiscrète curiosité touchant la croyance respective des parties ; mais il n’y a pas d’exemple que cette préoccupation ait eu d’influence sur ses arrêts. Jamais on ne lui reprochera d’avoir dévié tant soit peu de la