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sur les tributs, et par celui de Décence qui les avait devancés. Sa lettre était d’un homme qui acceptait franchement sa nouvelle position, mais sans prendre le ton d’arrogance d’un inférieur, qui met brusquement la subordination de côté. En voici à peu près la substance

(5) "Autant que je l’ai pu (les preuves en existent), je me suis montré, d’intention et d’effet, scrupuleux observateur de la foi jurée.

(6) Créé César par vous, et aussitôt jeté au milieu du fracas des armes, je n’ai jamais porté mes vues au-delà du pouvoir délégué. Vous m’avez vu, en serviteur fidèle, vous rendre un compte assidu de cette suite de succès dont la fortune a couronné mes vœux ; le tout sans en attribuer à mes efforts la moindre partie. Et cependant des témoins en foule pourraient attester que dans toutes ces campagnes où nous avons battu et dispersé les Germains, le premier aux dangers et aux fatigues, j’ai toujours été le dernier à chercher le repos.

(7) Maintenant permettez-moi d’ajouter que ce que vous appellerez peut-être défection n’est que l’effet d’une résolution du soldat, résolution dès longtemps arrêtée. Il s’indignait d’obéir à un subalterne, d’user vainement sa vie dans les rudes travaux d’une guerre toujours renaissante, sans pouvoir espérer d’une munificence secondaire la juste récompense de tant de fatigues et de glorieux succès.

(8) Au milieu de la sourde irritation qui le travaille, voilà qu’au lieu d’avancement, au lieu de gratification annuelle, arrive à ces hommes acclimatés aux glaces du Nord l’ordre imprévu de partir presque nus, et dépourvus du nécessaire, pour aller se battre aux extrémités de l’Orient. Une explosion de révolte s’en est suivie ; ils ont pendant la nuit entouré le palais, aux cris mille fois répétés de Julien Auguste.

(9) J’en ai frémi ; je me suis dérobé, cherchant un refuge contre ce danger dans la plus obscure retraite. Leur impatience ne m’a pas laissé de trêve. Enfin je me suis décidé à paraître, me faisant un mur de mon innocence, dans l’espoir que quelques mots dits avec douceur, mais avec autorité, mettraient fin au tumulte.

(10) Leur fureur alors n’a plus connu de bornes. Il en est venu plus d’un mettre la mort sous mes yeux, tandis que je m’efforçais de les rappeler au devoir. Alors poussé à bout, et réfléchissant qu’un autre, si j’étais tué, accepterait peut-être volontiers l’empire à ma place, j’ai donné mon consentement, comme seul moyen de fléchir la soldatesque exaspérée.

(11) Voilà l’exact récit de ce qui s’est passé : veuillez le lire avec le calme nécessaire. Vous ne croirez pas que je vous en impose sur aucun point, si vous fermez l’oreille aux insinuations d’une malveillance intéressée su désaccord des princes. Repoussez loin de vous l’adulation, mère de tous les vices ; et, n’écoutant que la justice, qui est la plus belle des vertus, acceptez sans prévention les conditions équitables que je viens vous soumettre : un moment de réflexion vous convaincra que votre sanction à ce qui vient de se faire profite également à l’État et à nous, déjà liés par le sang, et associés au pouvoir par la fortune.

(12) Que tout soit donc pardonné.