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J.-P. MARAT

son objet ; ou si quelquefois elle le lève entièrement, c’est avec tant de délicatesse, que la pudeur même ne sauroit s’alarmer. Pour peindre la douce ivresse d’un amant, dans un de ces momens heureux où il ose tout entreprendre, écoutez comme elle le fait[1] parler : « Où croyez-vous que je trouvai l’amour ? Je le trouvai sur les lèvres de Themire ; je le trouvai ensuite sur son sein : il s’étoit sauvé à ses pieds ; je l’y trouvai encore : il se cacha sous ses genoux ; je le suivis, et je l’aurois toujours suivi, si Themire toute en pleurs, Themire irritée ne m’eût arrêté. Il étoit à sa dernière retraite : elle est si charmante qu’il ne sauroit la quitter. C’est ainsi qu’une tendre fauvette, que la crainte et l’amour retiennent sur ses petits, reste immobile sous la main avide qui s’approche et ne peut consentir à les abandonner. »

Ne croiriez-vous pas, Messieurs, entendre Anacréon ; cette imagination si douce, si tendre, si délicate, pouvoit prendre un vol hardi. À peine paroît-elle dans l’Esprit des Loix et les Considérations sur la Grandeur des Romains ; mais lorsqu’elle s’y montre, c’est par des traits de flamme, semblable à un astre radieux dont l’éclat éblouit.

Quand elle peint Mitridate après ses défaites, ce roy si magnanime dans les revers, c’est sous l’image d’un lion regardant ses blessures ; aussi elle n’en est que plus indignée[2].

Quand elle peint les loix féodales, c’est sous l’image d’un chêne antique dont l’œil aperçoit de loin le feuillage, la tige de près ; mais dont il ne peut voir les racines qu’en perçant la terre[3].

Quand elle peint[4] le despotisme, c’est sous l’emblême

  1. Fin du Temple de Gnide.
  2. Grandeur des Romains.
  3. Esprit des Loix, liv. 3, chap. XI.
  4. Esprit des Loix, liv. 5, chap. XIV.