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J.-P. MARAT

assez désigner ce triste folliculaire[1] qui prétendoît avoir succédé à Pascal, parce qu’il en avoit épousé les opinions. Outré du peu d’intérêt que les gens de lettres prenoient à ses querelles, il s’était fait un devoir de les taxer de scandale et d’impiété. Il reprocha à l’auteur de l’Esprit des Loix d’avoir suivi le sistême de Pope, dont il ne dit pas un mot ; il l’accusa de spinosisme et de déisme, deux imputations contradictoires ; il lui fit un crime d’avoir cité un auteur payen tel que Plutarque, et de n’avoir point parlé du péché originel ; il prétendit que son ouvrage étoit une production de la Bulle Unigenitus, etc. De pareilles imputations n’étant pas moins révoltantes qu’absurdes, il eût été facile à Montesquieu de rendre odieux son antagoniste, il se contenta de le rendre ridicule, et la Déffense de l’Esprit des Loix, où la sagesse s’arme de décence, de gayeté et d’ironie pour confondre la sottise, le mensonge et l’erreur, doit être regardé comme un modèle du genre polémique. Quoique la gloire de l’auteur puisse faire des sacrifices sans s’apauvrir, un pareil ouvrage est trop précieux par son originalité pour l’avoir passé sous silence ; et s’il faut tenir compte à l’inconsidéré nouveliste[2] du bien qu’il a fait sans le vouloir, n’oublions pas que nous lui devons ce petit chef-d’œuvre.

Après un triomphe aussi éclatant, la sottise confondue resta dans le silence, et l’envie n’osa plus se montrer : elles redoutoient de nouveaux coups. Quand elles n’eurent plus rien à craindre d’un adversaire aussi redoutable, elles reparurent, et bientôt elles empruntèrent cent plumes pour le déchirer.

  1. Marat fait ici allusion à l’abbé de La Roche qui, dans les numéros des 9 et 16 octobre 1749 des Nouvelles ecclésiastiques, publia, au nom des Jansénistes, une réfutation de l’Esprit des Lois. (V. Vian, Histoire de Montesquieu, p. 265.)
  2. La Défense de l’Esprit des Lois ne fut point écrite par Montesquieu contre « l’inconsidéré nouveliste », mais pour répondre aux objections de la Congrégation de l’Index, à Rome. (V. Vian, loc. cit., p. 292 et sv.)