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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

simples moralistes, ou simples jurisconsultes, les uns et les autres considérèrent l’homme abstraitement, ou tout au plus sous quelques points de vüe particuliers. Montesquieu, le premier, considéra l’homme sous chacun de ses différens rapports. Après avoir embrassé d’un coup d’œil son vaste plan, il en médita chaque branche, il en examina toutes les causes pour voir tous les résultats, et rechercha toutes les parties pour mieux juger de leur ensemble.

Laissant dé côté la perfection absolue des loix, pour s’occuper de la perfection que la faiblesse humaine comporte, il examine moins celles qu’on a faites que celles qu’on a dû faire. Plus jaloux de les simplifier que de les multiplier ; il s’applique à en assurer l’observation et à la rendre facile.

L’exécution de ce grand dessein exigeoit que l’auteur développât les loix éternelles de la justice, les fondemens de la morale, l’origine des sociétés, les principes du droit naturel, les maximes de la politique, les ressorts du gouvernement, les règles de la jurisprudence, l’inflüence des climats, du commerce, des arts, les mœurs des différentes nations, les avantages et les déffauts de toutes les institutions particulières.

Vingt années lui suffirent à peine pour rédiger les matériaux de cet édifice immense, fruit de ses lectures, de ses observations, de ses méditations. Avant d’avoir remonté aux idées premières, effrayé de la grandeur de son entreprise, il l’abandonna et la reprit plusieurs fois. Mais lorsqu’il eut saisi les vrais principes, il mit la main à l’œuvre, redoubla d’efforts, couronna son travail, et l’Esprit des Loix vit le jour.

Je voudrois donner ici une idée complète de cet ouvrage précieux, propre à faire chérir le nom de l’auteur autant qu’à l’immortaliser ; mais à peine un volume entier pourroit-il suffire, et je me borne à un simple aperçu.