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J.-P. MARAT

quelquefois puérils. Encore s’ils avoient suivi l’équité naturelle ; mais trop souvent ils ne consultèrent que leurs préjugés, leurs fantaisies, leurs caprices.

Ce n’est pas qu’on puisse refuser de la sagesse et des vües profondes à plusieurs anciens législateurs ; mais il faut avouer que, forcés de se plier eux-mêmes aux préjugés ou aux passions des hommes, auxquels ils devoient donner des loix, leurs institutions manquent presque toujours d’harmonie ; et quoique chacun n’eût qu’un grand objet en vüe, la plupart mirent tout leur génie à parvenir à leur but et ne surent point[1] conserver leur ouvrage.

Montesquieu, le premier, porta dans la législation les vües d’un génie profond et sage. Voulant conduire les hommes au bonheur par les loix, il n’entreprit point de leur tracer le plan du meilleur gouvernement possible, mais de les rendre aussi heureux que le permettent les divers gouvernemens sous lesquels ils vivent. Ne pouvant refondre ces gouvernemens ils s’attachent à les perfectionner, en retranchant les abus et corrigeant les déffauts, en mettant de l’harmonie dans toutes les parties de la Constitution, en éclairant ceux qui commandent et en donnant à ceux qui obéissent de nouvelles raisons d’aimer les loix, leur pays, leur prince.

Avant lui, plusieurs avoient entrepris de rédiger un code de loix à l’usage des nations ; mais simples métaphisiciens,

  1. Exceptons-en Minos et Licurgue. C’est en choquant tous les usages reçus, en confondant toutes les vertus, qu’ils montrèrent à l’univers leur sagesse. Licurgue, mêlant l’esprit de larcin avec l’esprit de justice, le plus dur esclavage avec l’extrême liberté, les sentimens les plus atroces avec l’extrême modération, donna de la stabilité à sa ville. Il sembla lui ôter toutes les ressources des arts, le commerce, l’argent, les murailles ; où y a de l’ambition sans espérance d’être mieux, où y a les sentimens naturels, et, où y est ni enfans, ni mari, ni père ; la pudeur même est ôtée à la chasteté. C’est par ces chemins que Sparte est menée à la grandeur et à la gloire ; mais avec une telle infaillibilité de ses institutions qu’on obtenoit rien contre elle en gagnant des batailles, si on ne parvenoit à lui ôter sa police. »