Page:Marat - Éloge de Montesquieu, éd. Brézetz, 1883.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
J.-P. MARAT

Dans les derniers temps de la République, l’amour de la liberté avoit fait place à l’ambition, à la soif de l’or, à l’amour des plaisirs. Sous le nouveau gouvernement, il fut étouffé dans tous les cœurs par la crainte des attentats de la tyrannie : l’État offroit bien encore l’apparence d’un pouvoir formidable, mais ce n’étoit plus qu’un vaste corps sans liens. Rome ne renfermoit plus qu’un maître et des esclaves.

L’ineptie, la lâcheté et les vices de ces monstres qui régnèrent presque sans interruption depuis Tibère jusqu’à Galba, et depuis Commode jusqu’à Constantin, firent mépriser la puissance de Rome, et précipitèrent la ruine de l’Empire.

Le peuple ayant perdu la souveraineté, étoit devenu le plus vil de tous les peuples ; il ne subsistoit qu’aux dépens des trésors publics ; on l’avoit accoutumé aux jeux, et il vivoit dans l’oisiveté.

La corruption se mit aussi dans les armées, et lorsqu’elles eurent senti leur force, tout fut perdu. Une milice insolente disposoit en souveraine de la fortune publique. Les soldats vendoient l’empire, et pour en avoir un nouveau prix, ils assassinoient les empereurs ; vivant à leur fantaisie, ils s’amolirent dans les théâtres et ne voulurent plus entendre parler de discipline.

L’État, sans puissance au dehors, pouvoit à peine se soutenir au dedans.

Constantin rappela les légions qui étoient sur les frontières et les disposa dans les provinces, ainsi la barrière qui contenoit tant de nations fut ôtée.

Enfin l’Empire lui-même fut partagé par ses maîtres.

Ouvert de toutes parts aux invasions des Barbares, il ne tarda pas à être détruit en Occident, et après avoir langui quelques siècles en Orient, sous des empereurs imbéciles, il finit par s’anéantir.