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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

Comme ils n’accordoient point de paix qui ne contînt une alliance ; ils ne soumettoient aucun peuple qui ne leur servît à en abaisser d’autres. Destructeurs pour ne pas paroître conquérans, on auroit dit qu’ils ne prenoient que pour donner.

La modération que Rome affectoit dans ses conquêtes, empêcha ses voisins d’ouvrir les yeux, et de s’opposer à ses projets.

Mais elle resta si bien la maîtresse, qu’elle accabla chacun de ses ennemis du poids de tout l’univers, jusqu’à ce que le moment fût venu de ne plus dissimuler. Ainsi jamais nation ne prépara la guerre avec tant de sagesse, ne la conduisit avec tant d’habileté, n’y montra tant d’audace, ne la fit avec tant de succès, et n’en sut mieux tirer parti.

Voilà les causes de sa grandeur. Voici celles de sa décadence :

La constitution même de l’État, qui étoit admirable pour conduire Rome à la puissance, et n’étoit pas propre à l’y maintenir.

Les dépouilles des nations subjuguées qui produisirent l’opulence, l’opulence qui amena le luxe, le luxe qui corrompit les mœurs, fit oublier les anciennes maximes, avilit les esprits, et les prépara à la servitude.

L’extrême inégalité des fortunes qui mit le grand nombre dans la dépendance du petit.

Cette foule de citoyens qui, avec les désirs ou les regrets d’une fortune considérable, furent prêts à tous les attentats.

L’extension de l’Empire qui exigeoit des armées beaucoup plus nombreuses, armées qu’on fut enfin obligé de composer d’affranchis ou de citoyens trop pauvres pour s’intéresser au salut de la République.

Les expéditions lointaines, qui ne permirent plus au