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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

Montesquieu ne restreignit pas à sa nation le bien qu’il vouloit aux hommes, il retendit à tous les peuples. Il falloit commencer par les mieux connoître, il entreprit de voyager ; et comme Solon il renonça aux douceurs d’une vie tranquille pour aller chercher laborieusement la sagesse. N’oubliant rien pour s’instruire, partout il examina le physique et le moral ; partout il étudia les mœurs, le gouvernement et les lois ; partout il observa l’industrie et le commerce ; partout il visita les savans distingués, les artistes célèbres, et surtout ces génies transcendans, dont un simple entretien supplée quelquefois à de pénibles recherches, à de longues observations.

Ce fut en 1729 qu’il quitta la France pour parcourir l’Europe. Il se rendit d’abord à Vienne, où il vit souvent le prince Eugène ; ce héros philosophe, qui après avoir humilié l’orgueil du croissant, vivoit sans faste, et cultivoit les lettres au milieu d’une cour où elles étoient peu estimées.

De Vienne, Montesquieu passa en Hongrie, beau pays qu’habite une nation fière et généreuse, dont il examina particulièrement les mœurs.

Il parcourut ensuite l’Italie. Venise, cette ville sans égale, qui semble sortir de dessous les eaux, le frappa d’admiration. Il y fit quelque séjour, pour étudier la sombre politique du gouvernement. Parmi les personnes de marque, qu’il eût occasion d’y voir, étoient le fameux Law à qui il ne restoit de sa grandeur passée qu’un diamant qu’il engageoit quelquefois pour jouer aux jeux du hazard ; et le célèbre comte de Bonneval, qui lui fit le récit singulier de ses aventures, le détail des actions militaires où il s’étoit trouvé et le portrait des ministres qu’il avoit connus.

Après Florence et Mantoüe, il vit Livourne, autrefois village marécageux, dont le génie des ducs de Toscane a fait une ville florissante.