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J.-P. MARAT

nent de vrais amans, et c’est à eux que la déesse se montre favorable.

On célèbre annuellement à Gnide des jeux sacrés, où des femmes de tout rang et de tout pays viennent disputer le prix de la beauté, ce présent de la nature dont les différens caractères sont partagés entre toutes les nations. On en voit la peinture dans la description de ces jeux. Celui qui l’a fait c’est l’amant de Thémire. Tandis que sa maîtresse est occupée avec ses compagnes au culte de la déesse, il rencontre son ami Aristée, et à leur abord on sent, par l’effusion de leurs âmes, que l’amitié est le seul sentiment digne de disputer à l’amour le partage d’un cœur généreux. En s’entretenant de leurs amours, de leur bonheur, ils s’égarent, et après avoir longtemps erré dans la prairie ; ils sont conduits par un chemin de fleurs à un antre obscur, au pied d’un rocher affreux : c’est l’antre de la Jalousie. Une main invisible les y entraîne. À mesure qu’ils s’y enfoncent leur cœur s’agite et cherche à s’agiter encore. Bientôt la sombre divinité de cet affreux séjour s’offre à leurs yeux. Autour d’elle volent les ennuis ; la pâleur, la tristesse et le silence l’accompagnent ; elle souffle sur les deux amis, à l’instant ils ne voyent plus que des monstres. S’enfonçant davantage dans l’antre, ils aperçoivent une affreuse divinité à la lueur des langues enflammées des serpens qui sifflent sur sa tête : c’est la Fureur. Elle détache un de ses serpens qu’elle jette sur eux ; il se glisse dans leurs cœurs, et bientôt ils füyent sous le foüet des furies qui les agitent. Enfin ils sont rendus à la lumière. Elle leur paroît importune ; ils tombent de fatigue. À peine le sommeil commence-t-il à verser sur eux ses doux pavots, qu’ils sont agités par des visions terribles. Ils se lèvent, et dans un accès de fureur se mettent à courir les champs. De loin ils aperçoivent un temple dédié à Bacchus, ils y courent ; aussitôt le calme