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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

caractère asiatique, et ils finissent par faire oublier leur pays. Mais c’est de leur première réflexion, sur nos usages, nos modes, nos opinions, nos mœurs, que l’auteur a fait sortir cette fine critique, où il se montre aussi grand observateur que peintre admirable. Du soin qu’il a toujours d’en assortir les traits[1] au caractère de ses personnages ; celle de Rica devient une ironie très délicate de nos ridicules ; celle d’Usbec, une satyre très fine de nos déffauts.

Sous ce double voile, de quelle manière piquante il relève le bruyant de nos conversations frivoles ; notre habitude de traiter sérieusement les choses les plus futiles, et de plaisanter sur les plus graves ; le ton de suffisance de nos agréables, leur air d’entendre finesse à tout, leur travail à faire de l’esprit, leur talent de parler sans rien dire ! De quelle manière enchanteresse, il peint nos travers, notre vie sans cesse agitée pour des riens, ou consumée par des occupations puériles ; notre ennui, au sein même des amusemens, le désœuvrement de nos gens de conditions, et leur étude à cacher leur oisiveté sous un goût feint pour les plaisirs ; notre amour des nouveautés, la bizarrerie de nos goûts, les révolutions perpétuelles de nos modes ; la coquetterie de nos femmes du bel air ; l’intrigue de nos femmes de cour ; la dépravation de nos hommes à bonne fortune ; le ton tranchant de nos gens de lettres, leur fureur de juger sans connoître, et d’écrire sans penser ; nos disputes littéraires si violentes et si vaines ; la flexibilité de nos âmes sans caractère ; l’éternelle contradiction entre nos préjugés et nos lumières, nos sentimens et nos actions ; notre libertinage d’esprit dans la santé et notre pusillanimité dans les maladies ; notre amour pour la gloire, et notre vénération pour la faveur ; notre soif des

  1. Elles fournissent quelquefois des traits, que certains lecteurs ont trouvés trop hardis.