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J.-P. MARAT

Bordeaux, à l’âge de vingt-sept ans, il en devint président à mortier. Peu de temps après, chargé par sa compagnie de présenter des remontrances au sujet d’un nouvel impôt, il remplit avec zèle le noble emploi de porter au pied du trône les plaintes des malheureux ; leur cause fut plaidée avec autant d’énergie que de sagesse, et ils obtinrent le soulagement qu’on leur devoit :

Soulagement trop passager sans doute, et dont le seul avantage fut d’avoir fait connoître l’habileté du vertueux magistrat qui l’avoit sollicité.

L’Académie de Bordeaux venoit de se former, Montesquieu y fut reçu le 3 avril 1716.

Le désir de cultiver les talens agréables, en avoit réuni les membres : mais les ouvrages de goût ne souffrant point de médiocrité, il sentit combien on avoit de peine à rassembler un assez grand nombre de plumes capables d’illustrer cette société naissante. Persuadé d’ailleurs qu’une expérience bien faite est préférable à un poëme médiocre, à un faible discours, il crut que les talens de ses confrères s’exerceroient avec plus de fruit sur des objets de physique et d’histoire naturelle que sur des objets de poésie et de littérature : des vües aussi sages furent secondées, et Bordeaux eut une Académie des sciences.

Cependant Montesquieu cultivoit en silence les muses. Il auroit pu plutôt jouir de sa gloire ; mais il attendoit un âge mûr, avant de s’exposer à la critique.

Ce ne fut qu’à trente-deux ans qu’il mit au jour les Lettres persanes, espèce de roman philosophique où la peinture des mœurs orientales sert de cadre à une satyre très fine des mœurs européennes. À côté de ces morceaux légers où l’esprit se joue, on est surpris de trouver des morceaux d’une philosophie profonde, et des discussions importantes sur différens points d’histoire, de morale, de politique, amenées avec art pour varier la scène.