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ÉLOGE DE MONTESQUIEU

la carrière qu’il a parcourue avec tant d’éclat, il semble même n’avoir jamais éprouvé cette effervescence, d’un génie naissant, livré à lui-même, qui s’enflamme à la vue des brillans succès, parcourt d’un regard curieux les divers chefs-d’œuvre consacrés par l’admiration, cherche avec inquiétude un genre où des esprits supérieurs ne se soient pas encore exercés, s’essaye dans plusieurs et s’agite sans cesse, jusqu’à ce qu’il ait trouvé son objet. Mais ce qu’on prendroit en lui pour une suite des premières impressions, étoit le fruit d’un discernement précoce.

Des différens objets que la nature offre à l’examen du sage, il n’en vit point de plus grand, de plus noble, de plus intéressant que l’homme ; peu content de ce qu’en avoient dit la plupart de ceux qui l’avoient précédé, il entreprit de remanier ce beau sujet, et il sut l’approfondir en maître. Jamais plan ne fut plus vaste que le sien. D’abord il examine l’homme abstraitement, puis sous chacun de ses différens rapports ; et après l’avoir envisagé un instant dans l’état de la nature, il ne le considère plus que dans l’état de société.

C’est principalement sur le grand théâtre du monde politique qu’il s’attache à le suivre. Avec quel soin il l’observe dans les différens rôles qu’il y joue, et avec quelle adresse il lui arrache son masque, pour le montrer à découvert dans ces terribles scènes où figurent l’ambition, l’astuce, la fourbe, l’imposture et la force. Mais ce n’est point assez à ses yeux d’éclairer les hommes, il veut encore défendre leurs droits, et assurer leur bonheur sous l’Empire sacré des loix.

Livré à la méditation dans le silence du cabinet, à peine touchoit-il à son cinquième lustre que déjà il dévoiloit les ressorts cachés du cœur humain, et jettoit les fondemens des ouvrages qui l’ont rendu immortel.

Dès l’âge de vingt-cinq ans, conseiller au Parlement de