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J.-P. MARAT

toujours il se montra jaloux d’en être le bienfaiteur. Dans un âge où les hommes ne songent encore qu’aux plaisirs, déjà il se préparoit à leur être utile. Pendant le cours honorable de sa vie, il ne fut occupé qu’à les éclairer, et il couronna sa carrière par le plus grand bienfait qu’on puisse leur conférer : celui de leur apprendre à être heureux sous l’empire des loix.

Que l’âme est belle sous ce point de vuë, et quel éclat la vertu réfléchit sur son génie !

Ce seroit dérober à Montesquieu une partie de sa gloire, que de passer sous silence ses qualités agréables.

La vivacité, la gayeté, la douceur, formoient le fond de son caractère ; mais chez lui l’éducation, la réflexion et l’usage du monde avoient encore embelli ces heureux dons de la nature.

À des manières simples et nobles, il joignoit un commerce facile, et cette politesse qui tire sa source de la bonté du cœur. Sans prétention, il paroissoit reconnoître son propre mérite, et ne s’occuper qu’à faire ressortir celui des autres.

Sa conversation instructive, légère et pleine de sel, le rendoit l’âme des sociétés choisies, où on se disputoit l’agrément de le posséder. Personne ne savoit mieux se mettre à la portée de ceux avec lesquels il se trouvoit. Personne ne contoit avec plus de grâces. Personne ne saisissoit mieux un ridicule et n’en présentoit avec plus de finesse le côté piquant. Mais l’ironie délicate dont il s’étoit fait une arme dans ses écrits pour corriger les hommes, s’arrêtoit au bout de sa plume, et ne passa jamais sur ses lèvres pour offenser le moindre individu. Avec tant de titres pour plaire, il n’est pas étonnant qu’il fût aimé de tous ceux qui le connoissoient, et qu’il ait également réussi chez toutes les nations où il avoit voyagé.