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   Mais troublé par les ans, i’ay ſouffert que la crainte
Loin encore du mal, ait deſcouuert ma feinte :
Et ſortant promptement de mon ſens & de moy,
Ne me ſuis apperceu, qu’vn deſtin fauorable
M’offroit en ce danger vn ſuget honorable
D’acquerir par ma perte vn triomphe à ma foy.

   Que ie porte d’enuie à la trouppe innocente
De ceux qui maßacrez d’vne main violente
Virent des le matin leur beau iour accourcy !
Le fer qui les tua leur donna ceſte grace,
Que ſi de faire bien ils n’eurent pas l’eſpace,
Ils n’eurent pas le temps de faire mal außi.

   De ces ieunes guerriers la flotte vagabonde,
Alloit courre fortune aux orages du monde,
Et deſia pour voguer abandonnoit le bort,
Quand l’aguet d’vn pirate arreſta leur voyage :
Mais leur ſort fut ſi bon, que d’vn meſme naufrage
Ils ſe virent ſous l’onde, & ſe virent au port.

   Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature,
Meslans à leur blancheur l’incarnate peinture
Que tira de leur ſein le couteau criminel,
Devant que d’vn hyuer la tempeſte & l’orage,
A leur teint delicat peußent faire dommage,
S’en allerent fleurir au printemps eternel.