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2o8 TRAITÉ DES BIENFAITS DE SÉNÈQUE. tion particulière, que de souhaiter celle de tout un peuple en général, ainsi celui n’est point louable, qui désire des incommodités à un homme pour avoir le contentement de l’en délivrer. Quand l’intention en seroit bonne, la prière n’en peut rien valoir. Qui auroit mis le feu en une maison, ne seroit pas quitte pour l’éteindre ; et tant s’en faut qu’il en acquît de la gloire, qu’il auroit de la peine d’en éviter la punition. XXXVIII. Il est des villes où les méchants souhaits sont traités comme les crimes mêmes. Démade à Athènes fit condamner un qui vendoit des choses nécessaires aux funérailles, parce qu’il fut convaincu d’avoir souhaité de bien gagner ; ce qu’il ne pouvoit faire, s’il ne mouroit beaucoup de personnes. Et cependant tous ne sont pas d’accord qu’il ait été bien condamné. Peut-être qu’il ne souhaitoit pas que beaucoup de gens eussent affaire de sa marchandise, mais qu’il la pût avoir à bon marché, et la vendre bien cher. Puisque la négociation consiste à ven- dre et acheter, et que le gain n’est pas moins en l’un qu’en l’autre, pourquoi n’en tirez-vous l’interprétation que d’un côté ? Et si vous le punissez, que ne punissez- vous tous ceux qui font la même négociation, puisqu’en leur cœur ils font le même souhait ? Il ne se trouveroit guère d’hommes qui se pussent parer de la condemna- tion ; car à qui est-ce que le gain vient d’ailleurs que du dommage d’autrui ? Le soldat demande le trouble, afin qu’on ait besoin de lui. Le laboureur hausse la tête quand il voit enchérir le blé. L’avocat se réjouit de la multitude des procès. Le médecin en une saison malsaine fait ses affaires. Les merciers et les marchands de soie s’enrichis- sent par la débauche des jeunes gens. Que le vent n’a- batte point de maisons, que le feu n’en brûle point, les maçons et les charpentiers n’auront point de besogne. On a puni le vœu d’un homme, mais celui de tout le reste du