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les yeux ne se fermaient pas un instant sur ses dangereux intérêts. Tout écrit de Port-Royal était annoncé d’avance comme un prodige, un météore littéraire. Il était distribué par les frères, communément sous le manteau[1], vanté, exalté, porté aux nues dans toutes les coteries du parti, depuis l’hôtel de la duchesse de Longue ville, jusqu’au galetas du colporteur. Il n’est pas aisé de comprendre à quel point une, secte ardente et infatigable, agissant toujours dans le même sens, peut influer sur la réputation des livres et des hommes. De nos jours encore, cette influence n’est pas à beaucoup près éteinte.

Une autre cause de cette réputation usurpée fut le plaisir de contrarier, de chagriner, d’humilier une société fameuse, et même de tenir tête à la cour de Rome, qui ne cessait de tonner contre les dogmes jansénistes. Ce dernier attrait enrôla surtout les parlements dans le parti janséniste. Orgueilleux ennemis du Saint-Siège, ils devaient chérir ce qui lui déplaisait.

Mais rien n’augmenta la puissance de Port-Royal sur l’opinion publique comme l’usage exclusif qu’ils firent de la langue française dans tous leurs écrits. Ils savaient le grec sans doute, ils savaient le latin, mais sans être ni hellénistes, ni latinistes, ce qui est bien différent. Aucun monument de véritable latinité

  1. Écoutons encore Mme de Sévigné : J’ai fait prêter à nos pauvres filles de Sainte-Marie (pauvres petites !) un livre dont elles sont charmées, c’est la Fréquente (le livre de la Fréquente Commun. d’Arnaud) ; mais c’est le plus grand secret du monde, (Mme de Sévigné, lettre DXXIII, tom. VI, in-12.) Oserais-je vous demander, madame la marquise, pourquoi ce grand secret ? se cache-t-on pour vendre ou pour prêter l’Imitation de Jésus-Christ, le Combat spirituel, ou l’Introduction à la Vie dévote ? — Tel était Port-Royal, toujours brouillé avec l’autorité, toujours aux aguets, toujours intriguant, colportant, manœuvrant dans l’ombre, et craignant les mouchards de la police, autant que les Révérends Pères inquisiteurs de Rome ; le mystère était son élément. Témoin ce beau livre mis au jour par une des plus grandes dames de l’ordre (Le chapelet secret du S. Sacrement, par la mère Agnès Arnaud, 1663, in-12.) Secret ! eh ! bon Dieu, ma mère ! qu’est-ce donc que vous voulez dire ? Est-ce le S. Sament qui est secret, ou l’Ave, Maria ?