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je ? Que suis-je ?… C’est peut-être un rêve ! Mais alors, qu’il cesse !… qu’il cesse, car je n’en puis plus !… Par pitié, Violette, avancez jusqu’à ce fauteuil, asseyez-vous, sans vous retourner… Vous m’écouterez sans me voir… Et ensuite, vous me direz… vous me direz…

Tandis que la jeune fille obéissait machinalement, le gorille étreignait son crâne velu, le meurtrissant de ses ongles, en proie au plus farouche désespoir.

— Violette, clama-t-il, — et cette fois la douleur qui le tenaillait était si vive qu’elle lui fit trouver des intonations presque humaines. — Violette, je suis Rolland Missandier !

La fiancée frissonna.

— Je suis Roland !… Roland !… affirma frénétiquement le gorille. Vous vous souvenez de Roland, petite fleur ?

Ce nom ! Seul Roland le donnait à Violette. Elle tressaillit.

— Ah ! je vous convaincrai ! reprit le monstre avec une ferveur désespérée. Tâchez de répondre, Violette, de répondre sans me regarder, en oubliant ma forme actuelle. Roland existait, n’est-ce pas ?

— Oui, murmura-t-elle faiblement.

— Il y a six mois !… six mois ! gémit douloureusement le gorille. Oh ! je me rappelle… je me rappelle jusqu’au mystère. Dites, petite fleur, Roland existe-t-il encore ?

— Oui, murmura de nouveau la voix frêle.

— Il existe ! s’écria le gorille avec une indéfinissable expression. Il existe !… Que suis-je donc ?

Sa tête retomba sur sa poitrine, d’un mouvement las et accablé.

— Où vit-il ? Que fait-il ?

— Il est… il est souffrant, dit Violette. Une pudeur touchante la retint. Devant celui qui se disait Roland, elle ne voulait pas avouer où était le vrai Roland, ni ce qu’il était devenu.

Machinalement elle ajouta :

— Depuis six mois…