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mais, en même temps apparaissait en lui une certaine répugnance à jouer un rôle de fantoche. Et c’était encore une preuve d’intelligence consciente. Il se forçait à jouer, faisant effort pour chasser des soucis ; mais cela lui coûtait beaucoup, sans qu’on pût deviner à quel mobile il obéissait en acceptant cette corvée. Son regard trahissait une sorte de dédain du public, et pourtant, par instants, comme un comédien qui cherche à mesurer la portée de ses effets, il paraissait observer anxieusement quelle impression il produisait sur les spectateurs. Il semblait vouloir oublier la salle et lui-même ; et l’une et l’autre le préoccupaient sans cesse, en le désespérant.

Ces nuances échappaient au public, mais point au professeur Fringue ni au docteur Silence.

Ces éminents vivisecteurs, accoutumés à épier les tressaillements de douleur de leurs « sujets », à suivre à travers la matière palpitante le fil conducteur des nerfs qui les menaient jusqu’au siège de la pensée ; — les centres supérieurs, — à démontrer, en quelque sorte, le mécanisme de la vie consciente, — ou tout au moins sensible, — dans l’espoir d’en surprendre le secret, lisaient comme dans un livre ouvert dans les yeux du singe. Impitoyables, parce que la science expérimentale exige qu’on fasse abstraction du facteur douleur, ils suivaient avec un prodigieux intérêt les tortures du gorille ; elles étaient pour eux les manifestations prévues, attendues même, de phénomènes d’ordre purement scientifique. Ils étaient aussi froidement attentifs que dans leur laboratoire devant des réactions successives révélant la composition chimique du corps analysé.

Épaule contre épaule, leurs deux têtes se frôlant, ils échangeaient leurs réflexions à voix basse, sans quitter des yeux le gorille.

— C’est bien lui ! répétait de temps à autre le professeur Fringue.