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D’abord, le gorille avait paru réfléchir. Puis, tout d’un trait, il traça :

— Vous m’avez acheté ?

— Un peu ! Et j’y ai mis le prix, mon fils. Tu peux te vanter de m’avoir coûté cent balles, ce qui était d’autant plus conséquent que je ne connaissais pas ta valeur.

— À qui m’avez-vous acheté ?

— À un copain. Tu ne te rappelles pas de lui ? T’as pas la mémoire des amis. Il t’avait élevé quasiment au biberon.

— Il y avait longtemps qu’il m’avait ?

— Dans les trois ans.

La voix éraillée de Goldophin alternant avec les grincements de la craie. L’homme prenait des temps comme au théâtre, réfléchissait après chaque question pour rappeler ses souvenirs indécis, mal gardés par sa cervelle obtuse. La craie, au contraire, se hâtait sans répit, demeurant levée pendant la réponse, à deux pouces du tableau sur lequel elle s’abattait sitôt le dernier mot prononcé.

— Trois ans ! si longtemps ! Vous êtes sûr ! écrivit-elle, avec une sorte de frisson.

— Il me l’a dit, fiston. Je n’y suis pas allé voir. Mais, pourquoi me l’aurait-il dit, si ce n’avait pas été vrai ? Et-puis, tu sais, tu paraissais ton âge.

— Où m’avait-il pris ?

— Dans ton patelin, une forêt d’Afrique. C’était un gas qui avait voyagé, bourlingué, comme il disait.

Une fois de plus, le gorille passa la main sur son crâne, au-dessus des yeux. Sa poitrine se gonfla. Il posa la craie et soupira douloureusement.

— Ça te suffit, fiston ? Tu es convaincu ? demanda Goldophin.

Le gorille secoua la tête.

— Ne te gêne pas, tu sais. Si tu as encore quelque chose à me demander ?

Le bras du singe se souleva un peu, puis