Page:Magog - L'homme qui devint gorille, publié dans l'Écho d'Alger du 18 nov au 27 déc 1925.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fondément troublé. Voulez-vous parler de lui ? docteur Clodomir.

— Oui, confirma ce dernier, fiévreusement, lui… Roland Missandier… votre forme !… Je l’ai trouvé mourant… intransportable… une maladie de langueur… à laquelle les médecins de l’asile ne comprennent rien… parbleu ! Il faut venir, vite !

— Oh ! fit le gorille, avec désespoir, me voir… me voir mourir !… Devrai-je voir cela ?… Sera-ce possible ? Sauvagement, il emprisonna son crâne entre ses deux mains.

— Comment est-ce arrivé ? balbutia Fringue.

— Qu’importe ? cria Clodomir, avec une agitation fébrile. Il a dépéri… dépiré… cessant de manger… enfin, languissant… Pourquoi ? L’heure n’est point aux mots… Il faut courir… Il faut le voir.

Et il empoigna, avec une résolution énergique, le bras du gorille, qui recula.

— Je ne veux pas voir… pas voir cela ! gémit-il, avec une expression d’horreur.

— Il le faut, fit désespérément le docteur Silence. Aidez-moi à l’entraîner, professeur Fringue, je vous dis qu’il le faut… Non, ne m’interrogez pas… là-bas, seulement, je vous dirai… peut-être.

Les deux savants, ayant jeté un manteau sur le gorille lui ayant pris les bras l’emmenaient. Il ne résistait point, paraissant privé de toute force ; ses jambes flageolaient au point qu’ils devaient le soutenir ; il cachait obstinément ses yeux avec ses mains et répétait d’une voix terrifiée :

— Je ne veux pas… me voir… mourir !

L’auto, dans laquelle tous trois montèrent, partit avec une vitesse foudroyante. Encadrant le gorille, les deux savants se taisaient, songeaient seulement au corps qui mourait, là-bas, au destin si cruellement ironique qui se jouait de leurs combinaisons et parachevait le crime au moment où ils croyaient le réparer.

Et une voix, à laquelle le docteur Silence essayait en vain de fermer son oreille, murmurait en eux :