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Dans la maison du banquier, quand on parlait du fou — de plus en plus rarement — c’était de ce ton calme, presque indifférent, qui succède aux consternations des premiers jours, sitôt la douleur est devenue une habitude. Seule, Violette continuait à mettre devant la photographie l’offrande de ses fleurs.

M. Sarmange, on s’en souvient, n’était point un méchant homme, mais il était de ces gens opiniâtres qui imposent volontiers ce qu’ils ont, une fois pour toutes, déclaré raisonnable.

La raison commandait que Violette oubliât Roland ; la raison voulait qu’elle ne portât point un deuil éternel et qu’elle envisageât, après un intervalle décent, la perspective d’un autre mariage.

Puisque Roland était fou, fou incurable, il n’y avait pas à s’entêter. Tôt ou tard, il faudrait en venir à lui chercher un remplaçant. Flavien Sarmange estimait que c’était son devoir de père d’y songer sans délai.

Et tout naturellement, ce fut Pasquale Borsetti qui se présenta à son esprit, d’abord parce qu’il le voyait constamment et que le Corse se trouvait, pour ainsi dire, là, tout porté et ensuite parce qu’il avait déjà fait acte de candidat. Il venait donc en seconde ligne et il était juste que ce fût lui qu’on choisit pour suppléer le favori.

Enfin, il y avait les convenances. Maintenant qu’il avait définitivement biffé de son esprit la candidature de Roland et que sa sympathie pour son pupille ne l’influençait plus, le banquier subissait davantage le prestige de la fortune de Borsetti. Elle n’était point comme la sienne, tout en façade, et sa solidité l’impressionnait. Épouser tant de millions lui sembla le sort le plus enviable que Violette pût désormais souhaiter, et, par avance, il déclara déraisonnables les objections qu’elle formulerait. Ce verdict était sans appel.

Roland écarté par la destinée, on devait, non seulement accepter la recherche de Borsetti, mais même la provoquer.