Page:Magog - L'homme qui devint gorille, publié dans l'Écho d'Alger du 18 nov au 27 déc 1925.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sa proposition, qu’il était acquéreur pour vingt mille balles comptant si ça me chantait. Vous pensez ! Et puis que c’était une fantaisie et que, même, je pouvais me faire une position chez lui, si j’entrais dans ses idées.

— Quelles idées, demanda Roland, en voyant que le saltimbanque s’arrêtait, hésitant.

— C’est ce que je lui ai demandé, comme de juste, répondit Godolphin avec un léger embarras. Faudrait pas que ça vous froisse si je vous ai laissé un peu débiner sans rouspéter. Vous m’aviez dit de vous considérer comme une bête ordinaire.

— Absolument. C’est ce que tu as fait, j’espère.

— C’est ce que j’ai fait, confirma le saltimbanque, soulagé de s’entendre approuver. Sans vos recommandations, j’aurais pas pu encaisser de sang-froid toutes les suppositions qu’il a faites sur votre compte ; car il vous a un peu abîmé de portait, le monsieur. Il a dit que les gorilles étaient de sales bêtes, sournoises et toujours prêtes à un mauvais coup au moment où on s’y attendait le moins ; que votre histoire l’avait bien prouvé. Lui, il était amateur, naturellement, mais il voulait prendre ses précautions. Bref, il n’est pas partisan des singes qui se baladent de la cave au grenier, et, s’il vous achète, c’est pour vous mettre dans une bonne cage, avec un gardien dont il soit sûr, un costaud qui n’ait pas les foies blancs et qui soit susceptible de vous allonger un solide atout en cas que vous feriez le méchant. C’est des mots n’est-ce pas ? J’ai laissé dire. D’ailleurs, je mangeais, parce que, pendant ce temps-là, il avait fait servir un balthazar à la hauteur. Il me guettait du coin de l’œil et, quand il a vu que je ne tiquais pas, il m’a lâché le reste du morceau. Si j’étais pas trop attaché à la bête, ni susceptible d’attachement — ça, il y tenait — je pouvais être cet homme-là et me faire des fentes pour mes vieux jours.