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— Oh ! fit le gorille avec terreur.

Le mystère se dévoilait soudain à lui, plus horrible encore. Il prit à deux mains son crâne, sentant que sa raison y vacillait. Il haleta, d’une voix basse, grelottante :

— Je suis « sa » folie !… Je suis ce qu’il imagine… Je n’existe pas !

C’était épouvantablement simple. Et c’était terrible aussi. Subissant la contagion de la folie voisine il ne croyait plus être la raison du fou échappée de son corps et transportée dans celui du singe. Un instant il avait cru Cela, sans pouvoir comprendre. Mais maintenant, « s’étant vu », ayant observé les gestes de sa forme, il s’imaginait ne l’avoir jamais quittée, mais vivre la folie de l’homme. Il n’était point un singe, matériellement ; mais il subissait l’impression de la forme créée par l’imagination du fou ; il était cette imagination elle-même, abracadabrante, se dédoublant pour raisonner sa démence ; il sentait que rien de ce qu’il voyait n’était réel et il continuait à le voir. Cela arrive dans les rêves.

— Mais les fleurs de Violette ?

Cette pensée ne l’arrêta point ; de la folie tourbillonnait dans son cerveau obsédé de la persistance du cauchemar. Il grogna, en s’essayant à rire, atrocement :

— Les fleurs sont pour le fou… pour le fou !…

Ses doigts tordirent le grillage ; ses muscles se contractèrent pour l’arracher.

Du bord du toit, les hommes le virent et aussi les gardiens, penchés aux fenétres.

— Prenez-le ! crièrent-ils. Il veut entrer chez les fous.

Traînant des cordes, quelques hommes rampèrent le long du toit, dans la direction du gorille.

Godofphin était parmi eux.

— Lancer les cordes, murmura-t-il. Si nous le ratons, il nous échappera encore.