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— Les cordes, vite ! réclamèrent les chasseurs.

Et le gorille ne parut point entendre ; car il ne fit pas un mouvement. Il regardait Roland Missandier — il « se » regardait.

Car c’était lui, enfin ! Et tout son être avait tressailli en s’apercevant, du frémissement attendu, pressenti. C’était lui, cette silhouette humaine sans doute, mais farouche, étrange, qui, tantôt tournait en rond dans la cellule, les genoux mi-ployés, le corps penché en avant, les bras ballants, balayant le sol, la face bestialement stupide et sans expression, et tantôt bondissant le long des murs, jetant ses bras en l’air, comme pour agripper quelque chose.

Un fou ? Non, autre chose : une bête.

Il avait mis ses vêtements en lambeaux et les loques qui gisaient à travers la cellule attestaient la fureur qu’il avait apportée à en délivrer son corps, maintenant nu. Ainsi dépouillé, il accusait mieux la posture anormale qui semblait lui être devenue habituelle dans la marche comme dans le repos ; à quatre pattes ou à demi-redressé, ou bien encore accroupi, mais jamais droit ni couché, tel se présentait cet être singulier qui n’avait plus de l’homme que la forme.

— Fou ! murmura le gorille, avec une stupeur douloureuse. « Il est fou ! »

Dans son enfer, Dante n’a point imaginé cette torture : l’être dédoublé, l’âme qui voit vivre le corps, la raison qui contemple sa propre démence.

C’est à cette idée de folie que s’était naturellement arrêté le gorille et c’était d’ailleurs la seule explication plausible ; mais, le caractère de cette folie le frappa. Il ne put s’empêcher de faire un rapprochement entre sa propre forme et les attitudes de Roland. Elles étaient visiblement simiesques. Le fou faisait les gestes du singe qui avait pris sa pensée.