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que jour davantage, les attitudes humaines et faire usage de la chaise, du verre, de la fourchette et du couteau. Pour m’encourager, il remplaça ma litière par un lit ; plus tard, j’échangeai ma cage contre une chambre, et la joie que je ressentais à retrouver ce confort et à goûter des sensations connues me prouvait déjà que je n’avais pas rêvé mon existence humaine. Je m’imaginais alors que du jour où je serais sûr de n’être point fou, où l’invraisemblable me serait démontré, mes maux cesseraient. Hélas ! j’ignorais la souffrance qui est aujourd’hui la mienne : me réveiller homme dans un corps de bête et avoir conscience de cette déchéance.

« Pourtant, que d’heures d’angoisse j’avais vécues, auparavant, quand j’épiais dans les yeux des spectateurs l’impression que produisait ma vue, quand mon regard leur demandait, quand je me demandais à moi-même :

« — Qui suis-je ?

« Mes conquêtes sur la bête se succédaient sans m’apporter la certitude. J’étais parvenu à discipliner les rudes sons de mon gosier, à prononcer les syllabes humaines. Mais était-ce réapprendre ou apprendre ? Pour ressusciter Roland, il fallait autre chose.

« Et cela s’est produit enfin. Votre vue a fait le miracle. Quand de la scène des Folies-Olympiques, mon regard a rencontré votre visage, ce fut comme le déchirement d’un voile de brouillard. Je voyais, je sentais, je savais. J’étais sûr ! sûr d’être Roland Missandier. Qu’il fût vivant ou mort, j’étais son âme, épouvantablement réincarnée par le plus incompréhensible des miracles.

« Mais, en même temps, j’ai compris que c’était seulement en entendant votre bouche l’affirmer que je croirais à ma réalité.

« Une volonté invincible, une force irrésistible, m’ont lancé vers vous. À tout prix, il fallait que je vous rejoigne et que je vous crie :