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À 20 pieds au-dessous du sol sont des cachots, un labyrinthe de prisons se composant d’un lit de pierre, et ne recevant d’air que par une ouverture haute d’un pied et large de quatre pouces ; encore cette ouverture est-elle gênée par des barreaux de fer. On montre au voyageur une voie gui conduit à une porte donnant sur la place Saint-Marc, et le cicerone raconte que lorsque le doge voulait la mort de quelque noble vénitien, il attendait un jour de fête ; et au milieu des joies de la place Saint-Marc, des bourreaux apostés entraînaient le noble désigné, le poussaient vers cette porte mystérieuse, la refermaient, et le conduisaient vers une prison que j’ai vue, où le sang est encore empreint sur les barreaux de fer de la lucarne à laquelle on garrottait la tête des malheureux, en attendant le coup de hache du bourreau : puis, la tête et le tronc étaient_placés dans une gondole noire amarrée au-dessous du Pont des Soupirs : le gondolier gagnait le Lido, et le paquet disparaissait sous les eaux de la pleine mer. On ne savait ainsi ce qu’était devenue la victime.

En quittant les cachots, vous montez au palais par un escalier où fut décapité Marino Faliero.

Vous arrivez au premier étage ; et là se trouve la boîte. aux dénonciations.

Au second, vous rencontrez la bibliothèque du palais, ornée des portraits de tous les doges de Venise ; et vous pouvez remarquer que celui du doge Marino Faliero est remplacé par un rideau noir, peint sur la toile, avec une inscription qui rappelle son crime et son supplice.

Les plafonds de toutes les chambres du palais sont ornés de ciselures dorées de la plus grande richesse ; on ne peut évaluer le nombre de millions qui furent consacrés à cette dépense. On voit sur les murs tous les chefs-d’œuvre de Tintoretto, de Paul Véronèse et du Titien. Mais toujours les idées de grandeur et de puissance que peut réveiller la vue de tant de richesses et de tant de chefs-d’œuvre, vous ramèneront brutalement aux pensées de despotisme du gouvernement des doges et de l’inquisition : car ces chambres ne sont autre chose que la salle du conseil des Dix, auprès de la salle du secret, derrière le Pont des Soupirs, au-dessous des prisons de plomb, i piombi, où l’on renfermait les accusés dans les plus grandes chaleurs de l’été, et où le beau soleil d’Italie, frappant sur ces toits de plomb et changeant sa chaleur vivifiante en un horrible supplice, devenait le bourreau des victimes de la tyrannie.

On le voit donc, tout le palais ducal est à lui seul l’histoire construite de la république de Venise, et le Pont des Soupirs n’est qu’une partie bien minime de tout cet édifice de puissance et de cruauté.




POISSON D’AVRIL.


On rapporte plusieurs origines de cet usage populaire. Quelques uns prétendent qu’il renferme une mauvaise allusion à la passion du Christ, arrivée le 8 avril ; ils pensent que poisson serait le mot passion corrompu. On sait que les Juifs renvoyèrent Jésus d’un tribunal à l’autre, et lui firent faire plusieurs démarches inutiles afin de l’insulter ; ils supposent que l’on a pris de là la coutume de faire courir et de renvoyer d’un endroit à l’autre ceux dont on veut se moquer.

Un autre auteur donne à cet usage bizarre une origine beaucoup plus récente : suivant lui, un prince de Lorraine, que Louis XIII faisait garder à vue dans le château de Nancy, trouva le moyen de tromper ses surveillans, et se sauva, le premier jour d’avril, en traversant la rivière à la nage. Les Lorrains dirent à cette occasion que c’était un poisson qu’on avait donné à garder aux Français.

L’usage du poisson d’avril pourrait aussi être considéré comme une sorte de leçon que l’on donne une fois l'an. Chacun a son genre de crédulité, chacun a son côté faible. Tel qui semble esprit-fort, tressaille au cri funèbre d’une chouette, au long hurlement d’un chien pendant la nuit, et coupe les cartes de la main gauche. Tel qui semble esprit sage et tête prudente, ira se morfondre en temps de pluie sous les croisées d’une dame, d’après un simple mot qu’on aura, pour l’attraper, laissé tomber tout exprès devant lui ; fera belle toilette pour dîner chez un riche gourmand, qui, ce jour-là prendra médecine ; risquera de se rompre le cou sur un rocher pour cueillir une plante à lui inconnue ; se lèvera avec le soleil pour déterrer dans de vieux auteurs une citation fausse avec laquelle on lui aura fermé la bouche dans une discussion.

Ceux qui savent reconnaître les nuances de caractère, les côtés faibles de leurs amis, leurs tendances défectueuses, ceux-là pourraient, au 1er avril, profiter de la liberté du jour pour donner, avec mesure et contenance, une leçon délicate et indirecte. Serait-ce là la moralité de cet usage si populaire ?




PROGRÈS DE LA POPULATION,

DU REVENU ET DES IMPÔTS DE LA FRANCE.


Réflexions sur une opinion de Malthus.


En 450 ans la population de la France a doublé, son revenu total est devenu six fois plus fort, l’impôt total a quintuplé, le revenu et l'impôt moyens par habitant ont triplé, ainsi qu’on peut le voir par ce tableau : |

ANNÉES Population totale. REVENU TOTAL. REVENU MOYEN par habitant. IMPÔT total. IMPÔT MOYEN par habitant
1700 16 000 000 1 500 000 000 93 fr. 75 c. 200 000 000 12 fr. 50 c.
1750 18 000 000 3 500 000 000 194 44 250 000 000 13 88
1800 26 000 000 5 400 000 000 207 69 650 000 000 25 00
1810 28 000 000 6 300 000 000 225 00 870 000 000 31 07
1820 30 000 000 7 400 000 000 246 66 950 000 000 31 66
1830 32 000 000 8 800 000 000 275 00 1 100 000 000 34 37

Ces chiffres, empruntés à nos publications officielles ou à nos meilleurs statisticiens, combattent positivement, pour la France du moins, le principe établi par Malthus, savoir : que la population suit une progression par quotient, 1 : 2 : 4 : 8 : etc., tandis que les moyens d’existence suivent une progression par différence, 1. 2. 3. 4. etc. ; principe d’après lequel le genre humain serait menacé avant peu d’une famine générale.

Lorsque Malthus publia son Traité sur la population, il n’avait pas observé que depuis un siècle la durée de la vie moyenne s’est accru, et que, par suite, les richesses des peuples ou leurs moyens d’existence ont fait de grands progrès. C’est par l’augmentation de cette durée, plutôt que par les naissances, que s’accroît actuellement la population des nations les plus civilisées.

Tous les enfans qui meurent en bas âge diminuent la somme des forces humaines, au lieu de l'accroître. Ce sont des capitaux, accumulés pendant plus ou moins long-temps, qui se perdent sans se reproduire. Les enfans devenus hommes, au contraire, remboursent à la société les avances qu’elle a faites pour les nourrir ; avec l’instruction, l’aisance, la propreté et les nombreux avantages que procure une civilisation perfectionnée, la vie moyenne s’accroît : moins d’enfans, peut-être, viennent au monde, mais, étant mieux soignés, ils vivent plus long-temps, et concourent aux travaux sociaux ; les économistes ne doivent plus être inquiets de leur sort. Ce ne sont point les hommes valides, laborieux et robustes, qui arrêtent les progrès d’une nation ; ce sont les malades, les mendians, et ceux qui ne travaillent pas. Aussi a-t-on dit avec raison que les moines nuisent à la population, et par suite à La richesse d’un État, bien