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PROCESSION À JAGGATNATHA


(Procession à Jaggatnatha.)



Jaggatnatha, qui est aussi connu sous les noms de Jagrenat, Juggernauth, est situé dans le gouvernement du Bengale, district d’Orissa. C’est le temple le plus célèbre de l’Hindoustan. Suivant la tradition, l’idole a été façonnée par le dieu Vishnou lui-même, déguisé sous l’apparence d’un charpentier. On rapporte que le céleste artisan avait demandé à être seul et à n’être point interrompu pendant la durée de son travail ; or, le roi qui faisait bâtir le temple en expiation de ses péchés, saisi d’un vif mouvement de curiosité, et craignant d’ailleurs que son charpentier ne fût qu’un ouvrier paresseux, avait appliqué son œil contre une des fentes de la porte ; mais à peine avait-il eu le temps de reconnaître la fausseté de ses soupçons, que Vishnou, disparaissant, abandonna sa statue à peine ébauchée. Cette légende a au moins le mérite de justifier la laideur et les formes grossières du dieu que représente l’idole.

La masse des bâtimens qui composent le temple offre un aspect assez imposant ; ils sont aperçus d’assez loin en mer pour faire reconnaître au navigateur l’approche de la côte, qui, dans cette partie du golfe de Bengale, est assez basse. La ville, habitée par des prêtres et des mendians, est journellement visitée par les dévots, qui viennent y prendre leur part des priviléges dont le dieu a doté ce séjour sacré. On porte à 12 000 000 par année le nombre de ces pèlerins.

La vue seule du temple suffit pour attirer sur le fidèle les bénédictions célestes ; tous les péchés sont pardonnés à celui qui est assez heureux pour pouvoir porter à sa bouche quelques uns des débris du repas offert à Vishnou, ces débris eussent-ils été arrachés à la gueule d’un chien. (On comprend d’après cela que Vishnou doit avoir une table bien servie, pour que sa desserte soit abondante.) Recevoir des coups de bâton de la part des brahmines chargés de distribuer le riz, est une œuvre tout-à-fait méritoire. Enfin, le moyen le plus assuré de gagner le paradis, est de mourir dans cette terre sainte, sur le sable qui avoisine la mer ; aussi la plage est-elle, en quelques endroits, toute blanche d’ossemens humains.

Les Hindous dévots qui sentent leur fin approcher se font apporter à Jaggathnatha pour y attendre la mort ; mais plusieurs la trouvent en chemin, car les souffrances, la misère, les fatigues du voyage, les tortures auxquelles la plupart d’entre eux se soumettent, engendrent des maladies épidémiques.

Les corps des pèlerins sont généralement privés de sépulture, et forment la nourriture habituelle des chiens, des chacals et des vautours ; on rencontre leurs ossemens épars sur les routes jusqu’à quinze lieues à la ronde.

L’idole de Jaggatnatha, celle de Balaram, son frère, et celle de Chouboudra, sa sœur, sont toutes les trois en bois, et assises sur des trônes de hauteur à peu près égale. La première est magnifiquement vêtue ; elle a les bras dorés, le visage peint en noir, avec la bouche ouverte et couleur de sang ; les deux autres sont peintes en blanc et en jaune.

La gravure représente la procession qui a lieu dans les grandes fêtes de juin.

L’idole est placée sur un immense char surmonté d’une tour qui a soixante pieds de haut ; dès qu’elle est aperçue par la multitude, elle est saluée par un cri épouvantable, mêlé de sifflemens qui durent plusieurs minutes. On attache au char d’énormes cordages sur lesquels se jette tout le peuple, hommes, femmes et enfans, car c’est une œuvre sainte que de mettre le dieu en mouvement. La tour s’avance péniblement avec un grand bruit ; les roues, gémissant sous le poids de la lourde machine, tracent de profonds sillons sur la terre. Les prêtres récitent des hymnes ; des groupes de pèlerins agitent des branches.

Mais bientôt la scène devient hideuse, car la religion enseigne que le dieu sourit à une libation de sang ; et de pau-