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pour mener les troupeaux de bœufs qui circulent sur nos grandes routes, et qui traversent quelquefois nos villes en toute liberté. Bien que notre bœuf soit d’un caractère assez doux, il occasionne parfois des accidens et des dégâts. On se rappelle en avoir vu un, à Paris, entrer dans la boutique d’un miroitier, et là, se croyant au milieu de son troupeau, vouloir passer au travers de chaque glace. Les glaces où se mirait l’animal furent mises en pièces, et ses cornes, mille fois répétées, firent croire, à quelque distance, que trente bœufs s’étaient logés chez le miroitier.

Quoique les buffles d’Italie présentent un aspect formidable, ils sont loin de donner une idée de ceux qui habitent les Indes Orientales, dans les forêts et les marais du Bengale.

Ceux-ci sont surtout à craindre lorsqu’ils deviennent vieux, parce qu’alors ils recherchent la solitude, et ne redoutent aucun danger pour punir l’imprudent qui les trouble dans leur retraite. À pied, la fuite est impossible ; elle est même difficile à cheval, si l’on n’est bien monté, et si le terrain est marécageux.

Il y a de vieux mâles de cette espèce qui ont jusqu’à six pieds de haut, et que les chasseurs redoutent autant que le tigre. On ne peut les abattre qu’avec une carabine semblable à celle dont on se sert contre ce dernier animal ; encore faut-il, pour les arrêter, les frapper dans le poitrail ou près de l’épaule.

On voit souvent un vieux buffle, rendu furieux par une blessure, s’élancer vers l’éléphant qui porte le chasseur ; mais cette témérité lui devient toujours fatale, dit le voyageur qui raconte ce fait : clouer le buffle à terre en poussant un rugissement épouvantable, est l’affaire d’un instant pour un éléphant aguerri.





VOYAGES.


L’État de la Virginie, le plus étendu de l’Union américaine, et qui pendant long-temps a joué le premier rôle par sa politique et ses grands hommes, présente les beautés sublimes d’une nature à la fois fertile et sauvage. On aimera à lire le morceau suivant, dans lequel mistress Trollope décrit un des spectacles les plus magnifiques de cette contrée pittoresque.

CATARACTE DU POTOWMAK.

Nous fîmes la partie d’aller voir la grande cataracte du Potowmak. Le chemin qui y conduit de Tonington traverse des paysages auxquels on peut à peine donner le nom de forêt, de parc ou de jardin, mais qui réunissent ces trois caractères. Des cèdres, des tulipiers, des platanes, des sumacs, des genévriers, et des chênes de diverses espèces ombrageaient le chemin ; des vignes sauvages avec leurs belles et grandes feuilles, et leurs fleurs dont le parfum égale celui du réséda, s’entrelaçaient aux branches de ces arbres. Des fraisiers, des violettes, des anémones, des pensées, des œillets sauvages, et une foule d’autres fleurs encore plus jolies, couvraient, littéralement, la terre. L’arbre de Judée, le cornouiller dans toute sa gloire de fleurs en étoile, l’azalca et le rosier sauvage éblouissaient nos yeux, de quelque côté que nous pussions les tourner.

L’accroissement graduel du bruit de cette cataracte est un des traits les plus agréables de cette promenade délicieuse. Je ne sais pourquoi le bruit d’une chute d’eau plaît tellement à l’oreille ! Tous les autres sons monotones ont quelque chose qui fatigue l’esprit, mais je n’ai jamais rencontré personne qui n’aimât à écouter le bruit d’une cascade. Après avoir traversé une rivière rapide nommée Brauch-creek, nous continuâmes à marcher pendant quelques minutes à l’ombre d’arbres verts, et tout-à-coup nous vîmes un spectacle qui nous arracha à tous un cri de surprise et de plaisir. Les profondeurs rocailleuses d’une rivière immense s’ouvrirent à nus yeux.

Le lit de la rivière est en cet endroit d’une grande largeur. D’énormes masses de rochers noirs, de toutes les formes imaginables, l’encaissent de toutes parts. L’eau qui tombe parmi eux avec un bruit de tonnerre ne se montre que par intervalles. Ici c’est une grande nappe d’eau, verte et limpide, tombant en ligne droite et sans interruption ; là elle se précipite dans un canal étroit, avec une violence qui fait qu’on ne peut ni voir, ni écouter, sans éprouver des vertiges : dans un endroit, c’est un étang sans fond dont la surface est un miroir noir comme de l’encre ; dans un autre, l’eau, tourmentée et divisée, forme en se précipitant une douzaine de torrens à demi cachés par le brouillard de rosée qui en rejaillit, et qui s’élève à une grande hauteur. En dépit de tout ce fracas, les arbres les plus délicats et les plus charmans se montrent au milieu de ces rochers hideux, comme des enfans souriant au sein même du danger. Tandis que nous regardions cette scène imposante, un de nos amis nous fit remarquer que la vigne vénéneuse étendait avec grâce ses branches perfides sur tous les rochers, et nous assura qu’une foule nombreuse de serpens y trouvaient leur sombre demeure.

Donner à cette scène l’épithète de belle serait un étrange abus de termes, car tout ce qu’elle offre à l’œil et à l’oreille inspire la terreur. La cataracte de Potowmak a quelque chose d’horrible et d’imposant. Le gouffre sombre et profond qui est ouvert devant vous, les mugissemens de la cascade écumante, le tourbillon rapide des eaux, la hauteur effrayante des rochers, tout semble menacer la vie et épouvanter les sens. C’était pourtant un grand plaisir que d’être assis sur une pointe de rocher en saillie, de voir et d’écouter.

On s’éloigne de ce spectacle plus calme, plus silencieux qu’on n’y est arrivé ; mais la fraîcheur de l’air, le doux coloris de quelques fleurs épanouies, les pétales des autres qui se ferment, le bourdonnement sourd des insectes, la douce rosée qui empêche le pied de se fatiguer au retour, tout cela semble en harmonie avec cet état mixte d’exaltation et de fatigue qu’une semblable excursion ne manque jamais de procurer.




LA MONNAIE DE DEUX SOUS.


Les écoliers renouvellent souvent un de leurs tours, qui est pour eux plein de charmes. S’ils rencontrent sur leur passage une échoppe avec des vitres en papier, un des malins se dévoue, et, passant à la fois la tête et les deux bras par trois des vitres économiques, il demande au savetier la monnaie de deux sous en pièces de six francs.

L’effroi du savetier au tonnerre du papier qui crève, à la menace de ces deux poings armés de deux gros sous, à la soudaine apparition de cette tête illuminée de malice et encadrée dans les lambeaux de sa vitre, forme un spectacle délicieux pour le gamin. Mais ce qu’il faut surtout admirer, c’est la proposition sensée qui constitue la légende et l’assaisonnement de cette méchanceté d’écolier :

« Donnez-moi, s’il vous plaît, la monnaie de deux sous en pièces de six francs. »

C’est en effet la proposition abrégée que, dans la vie humaine, chacun adresse à ses voisins.

Lorsque, sorti d’un coin de la Grèce, Alexandre-le-Grand ravageait la Perse et tuait ses habitans, que demandait-il à l’Asie, si ce n’est la monnaie de sa province en royaumes ? Avec un capital de trente mille hommes, il en voulait bénéficier plusieurs millions. — « Donnez-moi, s’il vous plaît, la monnaie de mes deux sous en pièces de six francs. »

Le banquier qui joue à la Bourse, le haut savant qui parle