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creuser ces puits n’est pas la nôtre. Ce peuple vient à bout de ses desseins avec le temps et la patience, et avec bien moins de dépense que nous ; il n’a pas l’art d’ouvrir les rochers par la mine, et tous les puits sont dans le rocher. Ces puits ont ordinairement 1 500 à 1 800 pieds français de profondeur, et n’ont que 5 ou 6 pouces de largeur. »

(Ici le missionnaire décrit la manière de percer les puits, qui est analogue à celle qu’emploient les ingénieurs européens pour creuser les puits artésiens ; ceux-ci ont donc été pratiqués par les Chinois bien des siècles avant nos essais ; la consolation de notre amour-propre est d’avoir en quelques années porté à un haut degré de perfection ce que les Chinois exécutent encore aussi naïvement que leurs aïeux.)

« On reste au moins trois ans pour faire un puits. Pour tirer l’eau, on descend dans le puits un tube de bambou long de vingt-quatre pieds, à l’extrémité duquel il y a une soupape ; lorsqu’il est arrivé au fond, un homme fort s’assied sur la corde et donne des secousses ; chaque secousse fait ouvrir la soupape et monter l’eau ; l’eau donne à l’évaporation un cinquième et plus, quelquefois un quart de sel. Ce sel est très âcre ; il contient beaucoup de nitre. L’air qui sort de ces puits est très inflammable. Si l’on présentait une torche à l’ouverture du puits, quand le tube plein d’eau est près d’y arriver, il s’enflammerait en une grande gerbe de feu de vingt à trente pieds de haut. Cela arrive quelquefois par l’imprudence ou par la malice d’un ouvrier.

» Il est de ces puits dont on ne retire point de sel, mais seulement du feu ; on les appelle puits de feu. En voici la description : un petit tube en bambou ferme l’embouchure du puits, et conduit l’air inflammable où l’on veut ; on l’allume avec une bougie, et il brûle continuellement. La flamme est bleuâtre, ayant trois à quatre pouces de haut et un pouce de diamètre. Le gaz est imprégné de bitume, fort puant, et donne une fumée noire et épaisse ; son feu est plus violent que le feu ordinaire.

» Les grands puits de feu sont à Tsee-lieou-tsing, bourgade située dans les montagnes, au bord d’une petite rivière. Dans une vallée voisine il s’en trouve quatre qui donnent du feu en une quantité vraiment effroyable, et point d’eau. Ces puits, dans le principe, ont donné de l’eau salée : l’eau ayant tari, on creusa, il y a environ quatorze ans, jusqu’à trois mille pieds et plus de profondeur, pour trouver de l’eau en abondance : ce fut en vain ; mais il sortit soudainement une énorme colonne d’air qui s’exhala en grosses particules noirâtres. Cela ne ressemble pas à la fumée, mais bien à la vapeur d’une fournaise ardente : cet air s’échappe avec un bruissement et un ronflement affreux qu’on entend fort loin. L’orifice du puits est surmonté d’une caisse de pierre de taille qui a six ou sept pieds de hauteur, de crainte que, par inadvertance ou par malice, quelqu’un ne mette le feu à l’embouchure du puits : ce malheur est arrivé il y a quelques années. Dès que le feu fut à la surface, il se fit une explosion affreuse et un assez fort tremblement de terre. La flamme, qui avait environ deux pieds de hauteur, voltigeait sans rien brûler. Quatre hommes se dévouèrent et portèrent une énorme pierre sur l’orifice du puits ; aussitôt elle vola en l’air ; trois hommes furent brûlés, le quatrième échappa au danger ; ni l’eau ni la boue ne purent éteindre le feu. Enfin, après quinze jours de travaux opiniâtres, on porta de l’eau en quantité sur une hauteur voisine, on y forma un petit lac, et on le laissa s’écouler tout-à-coup ; il éteignit le feu. Ce fut une dépense d’environ 30 000 francs, somme considérable en Chine.

» À un pied sous terre, sur les quatre faces du puits, sont entés quatre énormes tubes de bambou qui conduisent le gaz sous les chaudières. Chaque chaudière a un tube de bambou ou conducteur du feu, à la tête duquel est un tube de terre glaise, haut de six pouces, ayant au centre un trou d’un pouce de diamètre. Cette terre empêche le feu de brûler le bambou. D’autres bambous mis en dehors éclairent les cours et les grandes halles ou usines. On ne peut employer tout le feu, l’excédant est conduit hors de l’enceinte de la saline, et y forme trois cheminées ou énormes gerbes de feu, flottant et voltigeant à deux pieds de hauteur au-dessus de la cheminée. La surface du terrain de la cour est extrêmement chaude, et brûle sous les pieds ; en janvier même, tous les ouvriers sont à demi nus, n’ayant qu’un petit caleçon pour se couvrir.

» Le feu de ce gaz ne produit presque pas de fumée, mais une vapeur très forte de bitume qu’on sent à deux lieues à la ronde. La flamme est rougeâtre comme celle du charbon ; elle n’est pas attachée et enracinée à l’orifice du tube, comme le serait celle d’une lampe ; mais elle voltige à deux pouces au-dessus de cet orifice, et elle s’élève à peu près de deux pieds. Dans l’hiver, les pauvres, pour se chauffer, creusent en rond le sable à un pied de profondeur, une dizaine de malheureux s’asseient autour ; avec une poignée de paille, ils enflamment ce creux, et ils se chauffent de cette manière aussi long-temps que bon leur semble, ensuite ils comblent le trou avec du sable, et le feu s’éteint. »

Voilà ce qui se passe en Chine, dans ce pays mystérieux. Mais des phénomènes analogues se retrouvent en plusieurs autres contrées ; ils méritent d’être connus. Nous aurons occasion d’y revenir.




LA SEMAINE.

CALENDRIER HISTORIQUE.

Supplices et morts illustres. — Décrets de l’Assemblée Nationale. — Sièges et ruses de guerre.

2 Mars 415. — Hypacie, jeune païenne d’une rare beauté et d’une grande science, est assassinée à Athènes, où elle professait publiquement les mathématiques. Une troupe de chrétiens, furieuse contre son idolâtrie, et excitée par un lecteur nommé Pierre, se précipite dans la salle de son cours, l’arrache de sa chaire, et la traîne à l’église Césarée. Elle est dépouillée de tous ses vêtemens, tuée à coups de pots cassés, mise en pièces, et brûlée au Cinarion.

2 Mars 1791. — L’Assemblée nationale décrète l’abolition de tous les droits d’aides, des corporations de métiers, des maîtrises, des jurandes, et de tous les priviléges des professions mécaniques ou industrielles. La contribution des patentes est établie.

2 Mars 1798. — Invasion de la Suisse ; combat et prise de Fribourg ; occupation de Soleure et de Morat. Deux bataillons de la Côte-d’Or et de l’Yonne détruisent le monument construit par les Suisses à Morat, avec les ossemens des Bourguignons vaincus en 1476.




5 Mars 1590. — La ville de Bréda (Hollande) était au pouvoir des Espagnols ; de Haranguières, natif de Cambrai, capitaine de gendarmes au service du prince Maurice de Nassau, fit cacher un certain nombre de soldats dans un bateau de tourbes, qui jeta l’ancre, le 3 mars, dans le fossé du château de Bréda. Un caporal descendit dans un esquif pour visiter le bateau ; il entra dans la chambre de la poupe, où il ouvrit une fenêtre, et regarda en dedans. Les soldats cachés, qui étaient la plupart attaqués de rhumes violens, se mordaient les bras et les mains pour se fermer la bouche. Le caporal ayant enfoncé sa pique à travers les tourbes, un soldat en eut le bras percé, mais ne poussa aucun cri. Bientôt, à la faveur de la nuit, la petite troupe pénétra dans le château, et força la garnison à se rendre au prince de Nassau, qui était dans les environs avec un corps d’armée.