Page:Madame de Mornay - Memoires - tome 1.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de si estranges crys d’hommes, femmes et enfants qu’on massacroit par les rues, et ayant lessé ma fille en bas, j’entray en telle perplexité et quasi désespoir que, sans la crainte que j’avois d’offenser Dieu, j’eusse aymé plus tost me précipiter que de tomber vive entre les mains de ceste populace et de voir ma fille massacrée que je craignois plus que ma mort. Une mienne servante la print et la traversa au milieu de tous ces dangers, et alla trouver feu dame Marie Guillard, dame d’Esprunes, ma grant mère maternelle qui vivoit encores, et la luy lesa, et a esté avec elle jusqu’à sa mort. Ceste après disnée du mardy fut tué en la mesme rue où M. de Perreuze se tenoit, vieille rue du Temple, feu d’heureuse mémoire monsr le Président de la Place[1] feignant le mener au Roy pour luy conserver la vie. Monsr de Perreuze se voyant menassé et assailly de sy près, pour nous conserver et sauver le sac de sa maison, employa monsieur de Thou[2], avocat du Roy et à présent Président en sa cour du Parlement. Ceste furie estant passée plus légèrement qu’il ne s’attendoit, il fut question de nous déguiser et nous faire délloger. D’aller chez ma mère, je ne pouvois, car on luy avoit mis garde en sa maison ; je m’en allay chez ung mareschal qui avoit espousé une sienne femme de chambre, homme séditieux et qui estoit capitaine de son quartier. Je me

  1. Pierre de la Place, premier président de la cour des aides. Il avait écrit un commentaire fort curieux « de l’estat de la religion et de la république depuis 1556 jusqu’en 1561. »
  2. Le Président de Thou, auteur de la grande histoire de France de son temps, travailla plus tard à l’édit de Nantes et fut père de M. de Thou, exécuté avec M. de Cinq-Mars sous Louis XIII.