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LETTRES FAMILIÈRES.

les acquiert, comment on les maintient, et pourquoi on les perd ; et si mes rêveries vous ont plu quelquefois, celle-ci ne doit pas vous être désagréable, elle doit surtout convenir à un prince, et spécialement à un prince nouveau : voilà pourquoi je dédie mon ouvrage à la magnificence de Giuliano. Filippo Casavecchia l’a vu ; il pourra vous rendre compte de la chose en elle-même, et des discussions que nous avons eues ensemble ; toutefois je m’amuse encore à l’augmenter et à le polir.

Vous voudriez, magnifique ambassadeur, que j’abandonne ma manière de vivre pour venir partager la vôtre : je le ferai certainement ; je ne suis retenu en ce moment que par certaines petites affaires personnelles qui seront finies d’ici à six semaines. Ce qui me tient aussi en suspens, c’est que les Soderini sont à Rome, et que si je venais, je serais forcé de les visiter et de leur parler. J’aurais tout lieu de craindre qu’à mon retour, au lieu de mettre pied à terre chez moi, on ne me fît descendre chez le Bargello ; car, bien que ce gouvernement soit assis sur les fondements les plus solides, et jouisse de la plus profonde sécurité, cependant, comme il, est récemment établi, tout doit lui être suspect, et il ne manque pas d’importants qui, pour paraître semblables à Paulo Bertini, se feraient valoir à mes dépens, et me laisseraient me tirer d’affaire comme je pourrais. Je vous en prie, délivrez-moi de cette crainte, et je viendrai vous rejoindre au temps marqué, sans que rien ne m’en empêche.

J’ai parlé avec Filippo de mon opuscule, pour savoir s’il était bien de le publier ou de ne pas le publier, et, dans le premier cas, s’il conviendrait de le porter moi-même ou de vous l’envoyer. En ne le publiant pas, j’ai à craindre non seulement que Giuliano ne le lise pas, mais que cet Ardinghelli ne se fasse honneur auprès de lui de mes dernières fatigues. C’est le besoin auquel je suis en butte qui me force à le publier, car je me consume, et je ne puis rester longtemps encore dans la même position, sans que la pauvreté me rende l’objet