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LETTRES FAMILIÈRES.

celle des Romains, et demandaient ce qui les empêcherait d’obtenir un jour les mêmes succès que ces derniers ; ils se vantaient que la France leur devait toutes les victoires qu’elle avait remportées jusqu’à ce jour ; et ils ajoutaient qu’ils ne voyaient pas pourquoi ils ne pourraient point enfin combattre pour leur propre compte Aujourd’hui cette occasion s’est présentée, et ils ne l’ont pas laissée échapper. Ils sont entrés en Lombardie sous prétexte d’y rétablir l’ancien duc, mais, en effet, pour être le duc eux-mêmes. A la première occasion ils s’en rendront entièrement maîtres, et éteindront la race ducale, et, avec elle, toute la noblesse du pays ; à la seconde, ils se répandront dans toute l’Italie, qu’ils traiteront de la même manière. Ainsi donc je conclus qu’ils ne sont point gens à se contenter de donner un coup de râteau et à s’en retourner chez eux, mais qu’il y a prodigieusement à craindre de leur part.

Je sais que j’aurai contre moi la funeste habitude où sont les hommes de vivre au jour le jour, et de ne pouvoir croire que ce qui ne s’est point encore vu puisse arriver jamais, et, en second lieu, de ne voir jamais quelqu’un avec les mêmes yeux et sous Je même rapport. Voilà pourquoi personnelle songe à chasser les Suisses de la Lombardie pour y remettre les Français, parce qu’on ne veut pas courir les périls auxquels exposerait une pareille tentative, parce qu’on ne croit point à ce qui est à craindre pour l’avenir, et que l’on n’ose se fier à la bonne foi de la France. Mon cher compère, ce torrent d’Allemands est tellement grossi dans son cours, qu’il faut pour s’opposer à son passage une bien grande et bien forte digue. Si les Français n’étaient jamais venus en Italie, si vous n’aviez pas le sentiment encore tout récent de leur insolence, de leur cupidité et de leurs exactions, sentiment qui vous trouble maintenant dans vos délibérations, vous auriez déjà couru vers la France pour la prier de venir en Lombardie, afin de détourner l’inondation qui vous menace. C’est pourtant ce qu’il faut faire avant que ces Suisses aient pris racine dans ce pays, et