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LETTRES FAMILIÈRES.

qu’au lieu de contenir les Suisses, elle se cachera sous le manteau pour leur donner de l’argent, et se plaira à exciter l’incendie qui nous menace. En second lieu, parler de l’union des autres Italiens, c’est se moquer ; car il ne faut nullement s’attendre entre eux à un accord qui produise quelque bien. Et quand même les chefs s’entendraient, qu’en résulterait-il ? Hors les troupes espagnoles, qui sont en trop petit nombre pour suffire, toutes les autres de l’Italie ne valent pas un liard ; et d’ailleurs, les queues ne sont point d’accord avec les têtes. Que les Suisses fassent un pas, n’importe pour quel motif, et vous verrez chacun se précipiter à l’envi l’un de l’autre pour se soumettre à eux.

Enfin, quant à ce que vous dites, qu’ils ne veulent donner qu’un coup de râteau et s’en retourner aussitôt chez eux, ne vous y fiez pas, et ne conseillez à personne de s’endormir dans une semblable idée. Considérez, je vous prie, la marche des affaires d’ici-bas, et comment procèdent, et comment s’accroissent les puissances du monde, et surtout les republiques. Vous verrez que, d’abord, il suffit aux hommes de pouvoir se défendre eux-mêmes, et de maintenir leur indépendance : mais qu’ensuite ils en viennent à attaquer leurs voisins et à vouloir dominer. Ainsi, il suffit jadis aux Suisses de résister aux ducs d’Autriche, et cette résistance les fit respecter chez eux ; plus tard, il leur suffit encore de se défendre contre le duc Charles le Téméraire, et la défaite de ce prince étendit leur réputation au delà de leurs montagnes ; depuis, ils se contentèrent de se mettre à la solde des autres puissances, et cela dans le seul objet d’acquérir de l’honneur et d’entretenir parmi la jeunesse l’esprit militaire : c’est ainsi qu’ils ont augmenté leur réputation, et que la connaissance qu’ils ont acquise d’un plus grand nombre d’hommes et de pays a redoublé leur audace, et leur a inspiré l’ambition et le désir de combattre pour leur propre compte. Pellegrino Lorini me disait que, lorsqu’ils vinrent à Pise avec Beaumont, ils lui parlaient souvent de la force de leur milice, qu’ils comparaient à