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LETTRES FAMILIÈRES.

qu’elle cherche à les écarter : elle ne peut manquer de comprendre que dans cette paix le roi de France n’aurait aucune raison de la ménager ; qu’il y trouverait, au contraire, une superbe occasion de lui nuire, et qu’il entend trop bien ses intérêts pour la laisser échapper. Ainsi donc, si elle est assez sage pour prévoir l’avenir, elle n’acquiescera point, elle ne donnera point les mains à un plan de pacification d’où il résulterait une guerre plus importante et plus dangereuse. Mais dans mon plan, au contraire, les parties mécontentes seraient l’Angleterre, l’empereur et les Suisses ; et celles-ci n’auraient nullement la facilité de nuire aux autres, attendu qu’en deçà et en delà des Alpes elles trouveraient la France, qui, appuyée par ses alliés, opposerait une barrière insurmontable ; elles ne hasarderaient pas même de tenter une entreprise, parce qu’elles y verraient trop de difficultés. Il ne resterait d’ailleurs à ces alliés aucun motif de se délier l’un de l’autre, puisqu’ils auraient rempl chacun leur but, et que, d’un autre côté, la puissance de leurs ennemis, et la crainte d’en être à tout moment attaqués, suffiraient pour les tenir enchaînés.

Votre projet de paix présente, au surplus, pour l’Italie un danger extrêmement grave : c’est que toutes les fois que Milan aura pour duc un prince faible, la Lombardie ne lui appartiendra pas, mais appartiendra aux Suisses. Et quand, mille fois pour une, les trois parties qu’il laisse mécontentes resteraient tranquilles, je trouve toujours que le voisinage des Suisses est une chose trop importante pour que l’Italie ne doive pas y apporter une attention plus sérieuse qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent. Je ne crois pas, comme vous le dites, qu’ils ne remueront point, parce qu’ils craindront la France, qu’ils auraient contre eux le reste de l’Italie, et qu’ils ne veulent que donner un coup de râteau et s’en aller. D’abord, comme je l’ai dit précédemment, la France, avant eu à se plaindre de l’Italie, nourrira sans cesse contre elle des projets de vengeance : elle éprouvera une véritable satisfaction à la voir ruinée ; de sorte