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LETTRES FAMILIÈRES

présente plus de difficultés que le vôtre ; il me semble même que si l’un des deux offre quelque avantage, c’est le mien : en effet, je ne trouve dans le vôtre aucune sorte de sûreté ; au lieu que le mien en présente au moins quelqu’une, sinon bien bonne, au moins telle qu’on peut l’espérer dans les temps où nous vivons.

Quand on veut juger si une paix sera solide et durable, il faut, entre autres choses, examiner quelle est la partie intéressée qui peut en être mécontente, et quels sont les résultats probables de ce mécontentement.

Or, en examinant votre projet de paix, je crois qu’il mécontente l’Angleterre, la France et l’empereur, parce qu’aucune de ces trois puissances n’a atteint le but qu’elle se proposait ; au lieu que dans le mien les mécontents sont l’Angleterre, les Suisses et l’empereur. Par les même motifs, je crois, en outre, que les mécontentements produits par votre plan peuvent aisément causer la ruine de l’Italie et de l’Espagne ; et quoique la France l’ait approuvé, et que l’Angleterre ne l’ait point rejete, ces deux puissances changeront soudain d’idee et de dessein. La France voulait se rétablir en Italie ; l’Angleterre voulait soumettre la France : toutes deux ayant manque leur but, on les verra s unir pour ne plus songer qu’à se venger tout à la fois de l’Italie et de l’Espagne. Il y a lieu de croire, en effet, qu’il se formera entre elles un nouvel accord, au moyen duquel elles n’éprouveront plus aucun obstacle dans leurs projets, quelque chose qu’elles entreprennent : il suffit que la France déclare ouvertement ses intentions En effet, favorisé par l’Angleterre, l’empereur saute…[1], passe en Italie à son gre, repasse en France ; et ainsi ces trois puissances, une fois d’accord, peuvent, en un clin d’œil tout réunir, et changer la face des affaires ; et ni les armes des Espagnols, ni celles des Suisses, ni l’argent du pape, ne suffiraient pour opposer une digue à ce débordement, car elles auraient à elles trois trop d’argent et trop de forces. L’Espagne, sans doute, voit ces dangers, et il est naturel

  1. Il y a ici une lacune qu’il serait difficile de remplir