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LETTRES FAMILIÈRES.

Je ne veux pas dire, toutefois, que le roi d’Espagne et le pape aient à prendre les armes contre elle : il suffit qu’ils l’abandonnent, et qu’en même temps ils lui représentent qu’on ne faisait la guerre à la France que pour soutenir les intérêts de l’Église ; motifs qui n’existent plus aujourd’hui. Je ne crois pas qu’il faille des mesures plus violentes pour déterminer le roi d’Angleterre à se retirer, surtout maintenant que, comme je l’ai dit plusieurs fois, il a vu, et voit que le succès de son entreprise contre la France est un peu aventure ; du reste, il a dû refléchir que s’il en vient a une bataille, et qu’il soit battu, il court risque, tout aussi bien que le roi de France, de perdre son royaume. Vous m’objecterez que ce prince enverra de grosses sommes en Allemagne, et qu’il fera attaquer la France sur un autre point. Il me sera aisé de répondre, par l’opinion généralement répandue, que, pour satisfaire tout à la fois son orgueil et sa gloire, il ne voudra jamais dépenser son argent que pour ses propres troupes ; que d’ailleurs celui qu’il donnerait à l’empereur serait jeté en pure perte ; et enfin que, quant aux Suisses, ils en exigeraient beaucoup trop. Je crois, au reste, que la bonne intelligence entre l’Espagne et la France pourrait facilement renaitre ; car il ne peut être avantageux à la première de détruire ainsi l’autre. Et n’a-t-on pas vu aussi que, lorsque la France s’est trouvée au milieu des plus grands dangers, l’Espagne a aussitôt posé les armes ? Ainsi, que le roi de France se voie rétabli dans la Lombardie, et il en sera beaucoup plus disposé sans doute à la réconciliation ; car les bienfaits récents font pour l’ordinaire oublier les anciennes injures. D’un autre côté, que peut craindre l’Espagne d’un roi vieux, fatigué et infirme, place entre l’Angleterre et l’Allemagne, c’est-à-dire entre deux pays, dont l’un lui est suspect, et l’autre, ouvertement ennemi ? En tous cas, elle n’aurait pas besoin pour se défendre d’employer l’autorité du pape ; il lui suffirait d’entretenir ces soupçons et cette inimitié.

Je ne crois donc pas que mon plan de pacification