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LETTRES FAMILIÈRES

voir à s’en retourner sans aucun résultat ; il faut donc qu’il y soit déterminé par quelque nécessité. Or, je pensais que, pour lui imposer cette nécessité, il suffisait de l’Espagne et du pape ; je jugeais, et mon sentiment est encore le même, que, d’un côté, trouvant son entreprise difficile, et de l’autre, connaissant le désir de ces deux puissances, il se déciderait sans peine pour la retraite. Il pourrait, à la vérité, en concevoir du mécontentement ; mais il me semble que ce mécontentement même serait utile, puisqu’il contribuerait à affaiblir la France, qui, placce entre les Suisses et les Anglais, également ennemis ou suspects, ne pourrait former d’entreprise contre les États d’autrui, et aurait même besoin de chercher des appuis pour se maintenir dans les siens. Il me paraissait d’ailleurs que, dans cette supposition, le roi d’Angleterre atteignait son but ; car je suis convaincu qu’outre son désir d’assurer ses États, il avait encore celui de demeurer, au moyen de ses armées, comme le coq de l’Italie : c’est, en effet, ce qui arriverait, puisque la France ne pouvant, soit à cause des craintes que lui inspirerait l’Angleterre, soit à cause de l’inimitié qui existe entre elle et les Allemands, envoyer des troupes nombreuses en Lombardie, serait dans la nécessité de recourir aux armes espagnoles.

Je ne vois pas, au surplus, comment vous entendez qu’il n’y ait que les Suisses capables de contraindre le roi d’Angleterre à céder ; car je ne pense pas qu’ils puissent ni qu’ils veuillent jamais servir la France autrement que comme stipendiaires : or, à raison de leur pauvreté et de l’eloignement où ils sont de l’Angleterre, il faudrait qu’elle les payât grassement ; car, enfin, elle peut tout aussi bien solder des lansquenets, dont elle retirerait le même service, et qui ne seraient pas moins à craindre pour l’Angleterre. Si vous me dites que celle-ci peut décider les Suisses à attaquer les Français du côté de la Bourgogne, je réponds que c’est là un moyen de nuire à la France, et que pour forcer les Anglais à céder, il faut trouver celui de nuire à l’Angleterre.