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LETTRE III.

À FRANCESCO VETTORI

 MAGNIFIQUE AMBASSADEUR,

Je vous ai écrit samedi dernier ; et, quoique je n’aie rien de plus à vous dire aujourd’hui, je ne veux ; point laisser passer ce samedi sans vous écrire.

Vous connaissez notre société ; elle ressemble à une chose égarée : pauvres oiseaux effarouchés, le même colombier ne nous rassemble plus, et le délire semble en avoir saisi tous les principaux membres. Tommaso est devenu bizarre, fantasque, ennuyeux, et si avare, qu’à votre retour il vous semblera un autre homme. Je veux vous raconter ce qui m’est arrivé. La semaine dernière il avait acheté sept livres de veau, qu’il envoya chez Marione : bientôt après il trouva qu’il avait fait une trop grande dépense ; et, voulant la faire partager à quelqu’un, il se mit a mendier un convive qui voulût venir dîner avec lui. Touché de compassion, j’y menai deux personnes que je recrutai moi-même. Nous dînâmes ; et lorsqu’on en vint à faire le compte, chacun lut taxé à quatorze sous. Je n’en avais sur moi que dix : je restai donc lui en devoir quatre. Depuis ce moment, il me les redemande chaque jour ; et hier soir, il me fit presque une scène à ce sujet sur le Ponte-Vecchio. Je ne sais si vous trouvez qu’il a raison ; mais de n’est qu’une bagatelle auprès de toutes les autres choses qu’il fait.

La femme de Girolamo del Garbo est morte, et son mari est resté trois ou quatre jours étourdi comme un poisson hors de l’eau. Mais depuis il est tout ragaillardi :